22
OCT
2016
Ici, à Val-de-Reuil, dans ce beau Théâtre de l’Arsenal, comme Maire et parce que je serai, à ce titre, votre hôte pour l’essentiel de ce colloque, l’honneur et le bonheur m’appartiennent de vous souhaiter la bienvenue. Notre commune, plus jeune de France, est une ville multiculturelle, une ville du vivre-ensemble, une ville qui, habitants, énergie, solidarités et fêtes, doit beaucoup à l’Afrique. Il est, dit-on, du côté de Pretoria et de Jo’burg, des Nations « arc-en-ciel ». Il est aussi, plus près de nous, en Normandie, au bord de l’Eure, des communes qui ne sont pas moins bigarrées et tirent la même fierté de leur métissage. La mienne accueille soixante-dix nationalités. Juste deux fois moins que le nombre des pays que rassemble l’Organisation des Nations Unies…
Je veux donc très chaleureusement remercier tous ceux, orateurs, organisateurs, auditeurs, qui – étrangement – ont choisi, pour venir parler d’un continent immense qui s’étend des rives de la Méditerrannée aux brumes du Cap de Bonne Espérance, de monter sur cette scène et de s’emparer d’un micro, non pas à Paris ou à Rouen, bourgades d’une certaine importance, mais à Heudebouville, à Louviers et à Val-de-Reuil unies pour les accueillir.
Certes, pour nous consoler, nous nous répétons que « small is beautiful », mais il y a là comme un mystère. Sa résolution est simple : elle tient à la générosité et au dévouement des hommes. Je pense notamment à tous les intervenants qui se sont mobilisés ce matin. Ce serait faire injure à notre édition 2015 que de dire qu’ils sont, en 2016, encore plus nombreux, plus qualifiés, plus diversifiés dans leurs origines et leur parcours. Cela serait d’autant plus indélicat que, comme l’ancien Premier Ministre de Guinée M. Kabiné Komara, aujourd’hui Président du comité d’organisation de la mise en valeur du fleuve Sénégal, qui préside avec le mélange d’autorité et de sagacité qui lui est propre notre table-ronde introductive et que je salue respectueusement, comme moi-même, plusieurs de ceux qui vont parler ce matin, font partie des revenants de la première saison. Il n’empêche qu’il semble certain que, en une année ; que notre taux d’audience a augmenté. Nous le devons probablement à la présence de Xavier Belin, le président de la FNSEA, et à Clothilde Eudier, ma collègue du conseil régional de Normandie en charge de l’agriculture que Bernard Leroy, le regard souvent tourné vers Caen, n’a pas manqué, avec raison, d’inviter.
J’ai parlé de « mystère ». J’aurais pu dire « challenge ». Car après le temps des fondations, vient celui des confirmations. Rééditer un succès n’est jamais facile. Il faut, au service de l’Afrique, un engagement de tous les instants et une inébranlable volonté. Elle peut souvent enthousiasmer. Elle peut parfois décourager. Cette implication, cet investissement, s’incarnent en un couple qui a su parfaitement inventer et réinventer ces rencontres. Je veux évidemment me tourner vers Hubert et Thérèse Zoutu qui méritent vos applaudissements. Quand bien même me dirait-on qu’ils ont quelques attaches secrètes, invisibles, insoupçonnées, avec le Bénin, explication première de leur passion, il faut s’incliner devant leur abnégation et leur altruisme. Dans un certain parti politique qui traverse aujourd’hui des vents contraires, on aurait à leur endroit osé prononcer le mot d’internationalisme et il ne l’aurait peut-être pas rejeté, mais, trêve de philosophie militante, je ne veux choquer aucun de ceux qui, sans repos ni relâche, courent déjà les estrades en vue des prochaines élections. Sur la route de Louviers, j’en vois qui s’efforcent de faire prospérer leur petit commerce. Ne les déstabilisons pas.
Même si Thérèse et Hubert ne sont plus des enfants, il leur fallait pour réaliser leur rêve, qu’on pourrait facilement qualifier de miracle, une bonne fée et un parrain. Celle qui a tenu la baguette magique, c’est Sabine Renault-Sablonière. Elle a travaillé une année entière, nous bombardant d’emails à tout instant du jour et de la nuit, pour qu’adviennent ces 48 heures d’échanges et de débats. Il faut vraiment l’en féliciter. L’enchanteur, c’est mon ami Jean-Hervé Lorenzi, allié fidèle de cette Ville dont il a participé à plusieurs reprises, par ses conférences ô combien savantes, à l’éducation des lycéens. En guise de sortilèges, il nous a apporté ses réseaux, sa diplomatie, son expertise et la confiance que, par son élégance et son intelligence, il dégage. Il a donné sa caution, purement intellectuelle, rassurez vous, même s’il est un des piliers du Groupe Edmond de Rothschild, et elle était indispensable à la légitimité de cet événement. Par sa seule présence, il nous assigne un objectif : faire aussi bien que les rencontres du cercle des économistes qu’il anime chaque année, au début de l’été, à Aix-en-Provence et dépasser celles de Singapour qu’il est en train de créer en Asie. C’est effectivement le seul mal que nous nous souhaitons.
Permettez-moi d’aller dans cette introduction au-delà du mot d’accueil que, dans une saine utilisation des compétences et des connaissances, vous m’aviez aimablement réservé et d’y ajouter quelques remarques générales nées de mon amour pour cette partie du monde et du travail que j’y ai accompli pour la Cour des comptes comme contrôleur des fonds de coopération.
Première remarque. L’Afrique n’est pas un pays. C’est un continent. La différence n’est pas mince. Notre communauté de destins ne s’inscrit donc pas (ou pas uniquement) dans la relation d’une poignée de capitales avec Paris, dans une histoire politique figée, dans un passé perpétuellement ressassé, ce qui est bien commode pour protester et revendiquer, mais commence à devenir inutile, presque ridicule, pour réfléchir et travailler. Le temps des indépendances est loin derrière nous. Il n’y a plus de grande tâche rose sur la mappemonde Vidal-Lablache. Tournons la page dans la reconnaissance de nos erreurs et, parfois pour notre part, de nos fautes. Mais cessons de bégayer pour chanter ou blâmer les siècles anciens. Cette approche a d’ailleurs toujours été réductrice. Quel intérêt peut-il y avoir à laisser paternalisme, d’un côté, et rancune, de l’autre, se regarder stupidement en chiens de faïence. Il y a sans doute mieux à faire que l’apologie ou la dénonciation des empires coloniaux. Ils ont été. La France a pu apporter dans cette relation viciée ses forces et sa richesse. Les contingents africains, par deux fois, ont versé leur sang pour la libérer d’un envahisseur voisin. Une comptabilité des bienfaits et des errements serait macabre.
Notre vrai lien réside dans une proximité géographique évidente, dans des objectifs militaires similaires, dans une solidarité économique nécessaire, réalités que de bons esprits s’acharnent à nier, que ne suffisent pas à décrire, mais dont témoignent symboliquement le drame atroce, le calvaire de ces migrants dont l’exil est un enfer, le quotidien libyen un esclavage et la mer un cimetière. Leur fuite éperdue vers ce paradis européen, que forment la Jungle de Calais, les barbelés tendus par la Hongrie et les pays de l’ex-Yougoslavie, les camps de rétention des iles grecques ou italiennes, est également une des conséquences de l’insuffisant développement agricole du continent africain. Je l’affirme : la non attractivité, l’absence de formation, de financements et d’emplois, alors que parfois la croissance est là, est aussi un des aspects de la question que vous vous posez ce matin. C’est aussi un des explications de l’impossibilité qu’a l’Afrique de nourrir ses enfants. Ne restons donc pas dans des considérations technocratiques et prenons le risque de discuter en humains.
Seconde remarque. Il est bien de parler d’agriculture et d’alimentation. C’est fondamental. Comment vivre sans manger ? Mais la vraie donnée de référence aux discussions de notre matinée, surtout si l’agriculture demeure pour l’Afrique un moteur de croissance, c’est la mondialisation climatique et environnementale. Elle est le socle de nos propositions céréalières ou numériques. Ce n’est pas un hasard si, dans le prolongement de la COP 21, ce succès que l’on doit à François Hollande, à Laurent Fabius et à Ségolène Royal, la 22ème conférence mondiale sur le climat s’ouvrira à Marrakech. C’est en Afrique, plus qu’en Chine et en Inde, que l’on mesurera les premières retombées du volume colossal de CO2 émis par les voitures de Pékin et Dehli. Deux degrés de plus et ce sont 15% des terres arables qui disparaîtront de la surface du plus vieux des continents. Entre agriculture et environnement, le lien pour l’Afrique s’appelle agro-écologie et agro-foresterie.
Troisième remarque. Aucun de nous, probablement, ne deviendra le moderne équivalent de Rimbaud en Abyssinie. Pas certain que l’enfant poète devenu simple trafiquant ait compris la beauté de ce qui l’entourait. Mais pour parler de l’Afrique et encore plus pour y entreprendre, il ne suffit pas d’y voyager et, de délégation en délégation, de s’y promener de mission en mission, d’y passer quelques séjours biannuels dans des hôtels climatisés, fût-ce depuis 50 ans. Il faut la comprendre. Il faut s’en éprendre. Il faut la connaître c’est-à-dire l’aimer et la respecter. Il faut la parcourir et la rencontrer. Il faut s’y perdre et s’y retrouver. Croix du Sud ou Voie Lactée, c’est dans son ciel qu’on voit le mieux les étoiles. C’est dans son sol qu’on découvre Lucy et l’enfance de l’humanité. L’Afrique est repère. L’Afrique est mesure. C’est pourquoi il faut apprendre l’Afrique, ses peuples, ses espoirs, ses cultures. Il faut en respirer le parfum qui, à Bamako, à Ouagadougou, à Dakar vous saisit à la descente de l’avion. Il faut attendre la nuit qui tombe brièvement dans un maquis de Bangui, de Kinshasa ou de Nairobi. Il faut rouler « à la grâce de Dieu » entre Thiès et Saint-Louis, prendre le chemin de fer qui va de Djibouti à Dire-Dawa puis vers l’Ethiopie, longer la route des camions citernes entre Lomé et Yaoundé, suivre la « sahélienne » qui, d’aéroport en aéroport, traverse la savane tropicale de part en part, quittant l’Atlantique pour rejoindre l’Océan Indien, comme un bus aérien. Il faut voir un film au cinéma « Normandie » de N’Djamena, se promùener à La Marsa, dans les faubourgs de Carthage, jouer un match de football contre une équipe menée par Blaise Compaoré et Thomas Sankara encore amis, flâner à Gorée une 33 centilitres à la main. Il faut contempler les grands lacs au milieu de ce qui fût au Rwanda, au Burundi, un paysage bucolique quasi helvétique, gravir les premières pentes du Kilimandjaro, se promener le long de la plage à Durban. Il faut rêver à Tipasa, respirer un jasmin à Sidi-Bou-Saïd et déjeuner à Tanger. Il faut vénérer la couleur bleue avec les malgaches, admirer la finesse et la beauté des hommes et des femmes de Dar-es-Salam, rendre hommage au grand Mandela. C’est la chair de notre conversation qui, sans cela, serait si mécanique, si technocratique.
Quatrième remarque. La question de l’alimentation est en fait celle de l’eau, celle du stress hydrique, celle de l’irrégularité, de la réduction et de l’insuffisance des pluies. La CASE le sait qui, en la matière, a monté des projets de coopération avec Veolia. Si 60% des terres arables ne sont pas encore cultivées en Afrique, leur exploitation soudaine peut faire naître un nouveau problème. En effet, le besoin en eau que la fin de la jachère exigerait est bien plus important que ce que peuvent fournir les ressources naturelles hydriques. La nappe phréatique n’y suffira pas. Les précipitations non plus. Les réserves, fleuves ou lacs, encore moins.
Cinquième remarque. Dans la situation que vit aujourd’hui l’Afrique, tout n’est pas facile, tout n’est pas évident. Nous ne pouvons palabrer doctement sur nos chaises sans nous apercevoir et reconnaître que beaucoup de choses, positives, qui avaient été prédites, ne se sont pas produites. Il y a eu un catastrophisme africain teinté en occident de compassion. Il ne faudrait pas qu’il y ait demain un angélisme africain matinée d’indifférence. La vérité est dure. Il n’y a pas eu de fin des conflits et d’émergence généralisée de la stabilité politique en Afrique. La spoliation et la surexploitation économique du continent par des tiers n’ont pas cessé. Au contraire, des puissances gigantesques se sont mises à y participer. Que l’on songe à l’extraction des terres rares… La stabilisation démographique de l’Afrique est encore à venir. Les classes moyennes se sont moins développées qu’on ne le croyait. En 2050, la population du continent aura doublée. Elle atteindra 4 milliards d’habitants, soit ¼ de la population mondiale, deux fois la Chine ou la Chine et l’Inde réunies. Comment faire vivre, nourrir, former tant de nouveaux habitants dont la moitié auront moins de 25 ans ? Résoudre la question alimentaire est fondamental. Parler du numérique est certainement prioritaire. Mais ces deux réponses ne couvriront pas toutes les questions qui se posent à la mère des continents. Regardons par exemple les efforts de productivité que l’Afrique qui cultive 15% des terres arables et ne produit que 5% des volumes de ressources agricoles doit encore consentir, le manque de capacité énergétiques qui entraîne la pénurie en électricité contre laquelle veut lutter Jean-Louis Borloo, ou bien son sous équipement en matière de transports pour répartir semences et produits.
Alors, oui, vous avez raison de vous réunir au nom de l’amitié entre la France et l’Afrique, ou plutôt car, de Jacques Foccart à Claude Guéant en passant par Jean-Christophe Mitterrand, l’expression a fini par être un peu connotée, entre l’Eure et l’Afrique. Oui réfléchissez au nom d’une libre circulation entre les continents régulée loin des populismes haineux et stériles au bénéfice de la famille et de son regroupement, de l’investissement (de la France en Afrique et de l’Afrique en France car les deux courants existent), de l’université et du savoir. Oui, réfléchissez au nom de la créativité, de l’intelligence et de la jeunesse, au nom de l’innovation numérique qui peut transmettre des subventions sans la dîme de la corruption sur un smartphone, donner des indications météorologiques à un éleveur, fournir des didacticiels à un cultivateur, du développement durable et de l’entreprise privée à ce que sera le futur de l’Afrique. Comme Président de la Cosmetic Valley, je ne peux que vous y engager tant je vois, notamment dans le domaine du développement industriel des savoir-faire traditionnels, ce qu’on appelle la cosmétopée, des pistes d’avenir, comme on en discerne également pour l’agriculture avec les réussites récentes de la mangue, du sésame, du karité, marchés à forte valeur ajoutée.
L’Afrique est un marché et une amie, une chance et une conscience, un avenir et un modèle. Mais n’oubliez jamais que c’est à l’Afrique d’inventer son propre chemin. Je vous remercie.
19
SEPT
2016
Discours de M. Marc-Antoine JAMET,
Maire de Val-de-Reuil, Vice-président de la Communauté d’Agglomération Seine Eure,
Président de la Commission des finances de la région Normandie,
Pose de la 1ère pierre de la nouvelle unité de production maroquinerie Hermès
Mercredi 7 septembre 2016 à 10h30
Monsieur le Directeur Général qu’il m’arrive de croiser dans les aéroports asiatiques les plus éloignés d’une Normandie à laquelle je vous sais attaché au moins par le Vexin dominical.
Monsieur Président de la Communauté d’Agglomération Seine-Eure que je croise régulièrement, loin de l’Asie, dans ce bâtiment compliqué, Place Thorel, qu’on appelle la CASE, mais qui doit être une sorte d’aéroport de Louviers tant il en a l’allure désespérante et figé.
Cher(e)s collègues du Conseil municipal de Val-de-Reuil, puisque nous sommes ici sur un site rolivalois et non au Vaudreuil comme j’ai pu l’entendre dire, puisque nous revendiquons davantage, en fait de participation à cette implantation industrielle, que la fumée des gaz d’échappement des camions de livraison.
Cher(e)s ami(e)s qui travaillez dans cette très belle maison universellement connue qu’est Hermès Sellier et qui nous amenez, par votre réussite, par votre savoir faire, par la qualité de vos métiers, la renommée du Faubourg Saint-Honoré,
Je ne peux commencer mon propos sans relever trois paradoxes.
Le premier, c’est celui de l’éternel retour. Nous savons tous que Thierry Hermès, le fondateur, l’éponyme, l’homme venu d’Allemagne sans qui rien n’aurait existé, a fait son apprentissage de maroquinier dans l’Eure en 1821. Il fût embauché non loin d’ici, par les tanneries Costil. Il y a vécu avec sa femme à partir en 1826, l’a quitté en 1828, puis y est revenu pendant la guerre de 1870, cherchant la paix, et peu avant son décès un endroit où il se sentait bien. Malheureusement, ce n’était pas à Val-de-Reuil, construit en 1975, mais à Pont-Audemer, qui avait été construit un peu auparavant. C’est cependant tout comme à l’échelle d’une marque mondiale. Les facéties de l’éternel retour, leur paradoxe, c’est de voir Hermès revenir là même où un jeune homme, à 20 ans, était venu se familiariser avec les techniques de la sellerie et du cuir. C’est donc, Monsieur le Directeur Général, une immense fierté qui nous remplit aujourd’hui en voyant Hermès revenir chez lui et l’Histoire accomplir un de ces boucles dont elle a le malin secret..
Le deuxième paradoxe, c’est celui de la concurrence apaisée. Vous me permettrez d’en dire un mot. Comme Secrétaire Général du Groupe LVMH, j’ai signé de nombreux permis de construire, parfois concernant des ateliers Louis Vuitton, mais c’est évidemment la première fois que je signe le permis de construire d’un atelier Hermès. Il se trouve que ce n’est pas à la même place sur le papier puisque c’est en tant que Maire. Quoi qu’il en soit, j’en suis content et suis certain que le seul « seuil » que nous franchirons ensemble, c’est celui de l’hospitalité et de l’amitié que l’autorité des marchés financiers n’a pas à connaitre.
Le troisième paradoxe, c’est celui de l’alliance des contraires. La ville de Val-de-Reuil était la ville la plus pauvre de Haute-Normandie jusqu’il y a peu. Comme vous le savez, les Régions ont été rassemblées. Il y en a moins et elles sont plus grandes. Pourtant, l’INSSE nous a appris cet été que nous, nous sommes devenus la ville la plus pauvre de la Normandie réunifiée. C’est un titre dont nous nous passerions volontiers. Malgré nos succès industriels, les entreprises qui vont bien sur ce territoire et s’y activent avec bonheur, notre population, nos habitants continuent de souffrir. Vous représentez, à bon droit, la richesse et l’aisance. Ils ont pour certains d’entre eux la précarité comme horizon. Il n’est pas jusqu’à votre qui est cent cinquante fois supérieur au nôtre pour des effectifs à peu près équivalents. Nous 16.000 habitants et vous 20.000 salariés. Il est vrai que nous n’avons pas votre notoriété, votre tradition et votre force. Autant dire que nous avons vocation à nous entraider pour qu’un peu de la poussière d’or du Birkin ou du Kelly tombe sur nos épaules.
Je veux donc vous dire ma reconnaissance. Vous nous apportez de l’emploi. 16000 personnes vivent à Val-de-Reuil et 1600 sont au chômage. Il y a une sorte de devoir de recrutement qu’avec Pole Emploi et sa directrice Colette Salamone, avec le CCAS de Val-de-Reuil, vous avez déjà mise en œuvre en sélectionnant des dossiers de demandeurs d’emploi de notre Ville et de notre agglomération. Je voudrais encore vous en remercier. Cela d’autant plus que votre venue, votre extension, puisque l’usine de parfums, celle de l’eau des merveilles, de calèche, la collection des « Jardins », est déjà, depuis trente ans, à cheval entre le Vaudreuil et Val-de-Reuil, va faire du bien à nos recettes. Certes, je les partage avec Bernard Leroy qui m’a convaincu, je ne sais trop comment, sans doute en me droguant, de lui en céder une bonne partie, par solidarité avec les autres communes de la CASE. C’est évidemment une bonne chose pour nos collectivités qui en ont besoin..
Vous ne vous êtes pas trompé en vos installant ici, le long de l’axe structurant dont j’attends la concrétisation impatiemment, où vivaient Brossard et Altix parti sur le Parc des Portes pour y prospérer, ici où nous savions par les bases fiscales que se trouve la plus grande dynamique économique du département. Tout autour de nous, il n’y a que des leaders ou presque. Val-de-Reuil est repérée sur les cartes du monde entier parce que nous sommes leaders dans la pharmacie, la défense, l’informatique, la cosmétique avec Sanofi, Johnson & Johnson, Jansen, Orange, EDF, BNP, DCNS. Premiers fabricants de vaccins au monde, c’est également dans nos usines que s’imaginent des porte-avions, des sous-marins. C’est ici que le plus gros data center et le plus écologique de France a été construit. C’est ici qu’on a introduit la télévision sur tous les portables. Des premières, des exclusivités, des miracles, nous en avons accumulé.
Il se trouve que nous avons un certain nombre de points communs. Votre maison et notre commune ne sont pas si antinomiques. Je connais vos valeurs. L’esprit de famille ? Nous l’avons. La marque ? Val-de-Reuil en est une. L’investissement pertinent ? Nous ne dépensons que pour le futur, la fibre dont vous allez profiter, le renouvellement urbain. L’excellence ? Nous la cherchons. L’innovation ? Une centaine d’architectes parmi les plus fameux du pays ont travaillé sur nos projets de renouvellement urbain. La tradition ? Nous y croyons justement parce que nous sommes jeunes. Nous serons à la hauteur. Ne l’avons nous pas déjà prouvé ? Nous avons réussi, pour que les choses se fassent vite, à vous délivrer un permis de construire, reçu le 8 décembre, le 15 janvier. 1800 m2 de construit pour 1600 m2 de détruit, le compte est bon. Je veux bien évidemment en féliciter les services municipaux de Val-de-Reuil puisque nous avons la compétence de l’urbanisme et que cela nous conduira à nous parler fréquemment. Déjà nous avons envisagé plus sérieusement la végétalisation des 214 places de parking que vous allez créer et j’ai validé le remarquable bardage bois qui viendra remplacer l’existant tristement métallique. Nous avons eu des rendez-vous avec le Préfet sur des sujets de dépollution, sur des sujets d’installations classés. Je crois que les choses se sont également bien passées. C’est la modeste pierre que nous vous apportons à votre remarquable édifice. Dans la corbeille de la mariée, nous vous apportons la Ville qui a connu la plus grande sécurité dans le département de l’Eure cet été avec zéro cambriolage et une seule agression. Nous sommes la première ville de plus de 10 000 habitants à être aussi tranquille, aussi sage. C’est important pour la vie d’une entreprise. Pour l’avenir, nous serons toujours à votre écoute, à l’écoute de vos équipes, en proximité, en sympathie, en rapidité.
Je voudrais terminer en rappelant une chose que l’on ne dit pas toujours. J’ai la chance, sous l’autorité de M. Bernard Arnault de travailler pour le leader mondial du luxe : LVMH. Notre secteur est un secteur en pointe où la France est première, où Hermès est une entreprise magnifique, car les produits que vous faites sont des produits qui font rêver. Vous m’avez dit que vous seriez encore là dans cent ans et vous m’avez donné rendez-vous en 2117. Ne comptez pas trop sur l’opposition car, à Val-de-Reuil, elle papillonne, papote et patafiole. Je serai donc encore le Maire entamant gaillardement mon 36ème mandat. Il faudra que je tienne jusque-là.
Je n’attendrai donc peut être pas jusque là pour vous dire ma joie c’est un cadeau extraordinaire qu’Hermès fait à la Normandie, à l’Eure et à la ville de Val-de-Reuil. J’en suis tout à fait conscient. Votre univers est moins évident que ne le croient les gens. C’est celui des fluctuations monétaires, des comportements changeants de nos amis chinois, d’une situation internationale, qui se complexifie, des flux touristiques qui se modifient, des concurrents nouveaux qui arrivent. Il n’en demeure pas moins que vous êtes comme LVMH l’alliage de la passion et de la création, comme nous le sommes Avenue Montaigne, le futur de la tradition. A l’instar de Dior et de Vuitton, ces maisons d’exception que je connais bien, quand on travaille pour Hermès, quand on travaille pour une maison comme la vôtre, on est assuré d’avoir la durée devant soi, la solidité devant soi et la qualité devant soi. Vous avez su en investissant dans l’aval et l’amont remonter la chaine de valeurs pour protéger votre plus-value intellectuelle, industrielle, culturelle, ce qui fait l’essence du Made in France. A partir du moment où ce qui fait l’excellence française, et que Hermès représente au plus haut point, est dans vos mains, et bien nous n’avons rien à craindre parce que beaucoup passeront quand nous serons, vous et nous, encore là.
Nous avons désormais un rendez-vous à la fin de l’année 2016 ou au début de l’année 2017. C’est ce que m’a confié votre architecte qui fait travailler nos entreprises locales ce dont je le remercie. Même si la maroquinerie a un calendrier précis, je ne suis pas certain que nous pourrons ouvrir le site pour Noël et les fêtes. Tant pis, notre rythme sera un peu différent de celui des magasins. Qu’importe, vous êtes là pour des siècles ! Aujourd’hui restera pour vous et nous un grand jour : les cuirs du Vaudreuil, commune estimable, deviennent la Maroquinerie de Normandie qui avec la Californie est la région géographique la mieux connue au monde. Maroquinerie, Hermès, Normandie, Val-de-Reuil, tout ceci ne fait pas mauvais ménage. Je voulais vous féliciter, vous remercier, saluer tous les salariés. Je repars sans regrets vers le Groupe LVMH, car il sera toujours incomparable et le plus cher à mon cœur. Mais je dis sans restrictions ni réserves, longue vie et bravo à Hermès, le sellier du Faubourg Saint Honoré.
17
SEPT
2016
Discours de M. Marc-Antoine JAMET
Maire de Val-de-Reuil, Secrétaire Général et Directeur Immobilier du Groupe LVMH
Remise du Prix AMO à la Fondation Louis Vuitton
15 septembre 2016 – 18h30
Madame la Ministre, chère Audrey Azoulay, vous avez eu raison d’extraire d’un agenda très chargé quelques minutes pour les partager avec nous. D’abord parce que ce bâtiment ne vous est pas tout à fait étranger. Vos pas ont dû vous y conduire presque naturellement. Si vous n’étiez pas présente lors de la conception de ce bébé de verre et d’acier en 2006, vous avez rejoint l’équipe obstétrique qui s’est chargée, côté maternité de l’Elysée, de son accouchement en 2014.
Deuxième raison qui plaidait en faveur de votre présence, cette cérémonie ne peut pas être plus ennuyeuse que les « victoires de la musique », plus interminable que les « césars » et, pour le moment, la perspective que l’un d’entre nous, comme aux « Molières», se dévêtisse pour que vous preniez conscience de visu d’une revendication catégorielle, sociale ou fiscale, semble assez faible. Je parle cependant pour moi et ne m’engagerai pas pour les autres, car nous ne sommes qu’au début de l’exercice qui nous rassemble sous les toiles de couleurs de l’américain Elworth Kelly.
Tout juste pourra-t-on vous reprocher de ne pas avoir joué le jeu en omettant de respecter les règles fondamentales de notre association puisque vous êtes venue ici, en tant que maître d’ouvrage de la rue de Valois, sans votre architecte, celui du Palais Royal. Victor Louis, il est vrai, est mort un 2 juillet 1800 ce qui relativise ma critique et la ferait presque relever d’une fronde anti-gouvernementale inhabituelle dans notre pays et inconnue de sa majorité politique.
Quoi qu’il en soit votre place est évidemment à nos côtés, car il n’est pas que le spectacle qui soit vivant. Le patrimoine l’est tout autant et, outre celui qu’il faut entretenir et conserver, existe naturellement celui qui est en train de se créer sous nos yeux, celui qui deviendra classique, celui qui sera le paysage de l’avenir et dont les acteurs sont devant vous. Pour redevenir parfaitement sérieux, ce qui est le genre de beauté habituel du secrétaire général de LVMH, je sais qu’en matière de modernité, de discernement et d’écoute, vous ne vous en laissez pas compter et que c’est une chance, pas seulement ce soir, que de vous voir occuper avec simplicité, clarté, dynamisme et détermination le bureau de Jack Lang et d’André Malraux.
Je voudrais également saluer les nombreux architectes qui ont tenté, ce soir, de prendre place dans une salle dont j’ai pourtant prévenu notre président qu’elle comptait infiniment moins de sièges qu’il n’avait d’amis, de parents ou d’obligés à inviter. Heureusement, ce bâtiment est « un nuage posé sur l’eau », « a cloud on the water » et nous devrions éviter tous ensemble l’incendie, ce qui nous fera échapper lui et moi au centre de détention. A la moitié d’un propos, pour ne pas endormir l’auditoire fatigué, il faut se fendre d’une confidence. La profession d’architecte est celle que j’aurais voulu exercer si j’avais eu de l’imagination, du courage et du talent. Hélas !
J’avoue que ce regret ne m’a pas empêché pour autant de signer la pétition internet exigeant que les maîtres d’œuvre coupables d’avoir édifié un bâtiment hideux soient fusillés à ses pieds ou condamnés à y habiter. Ne le prenez pas mal, d’abord parce que cela ne concerne aucun de vous et ensuite parce que c’est ce que je disais régulièrement à un homme que j’admirais et respectais, qui est mort dernièrement et dont je m’étais juré de citer le nom devant cette assemblée, à Gérard Thurnauer un des fondateurs de l’atelier de Montrouge qui a construit la plus jeune commune de France, Ville nouvelle dont je suis le Maire, Val-de-Reuil. J’en profite pour tous vous inviter à y venir et à construire après qu’une centaine de vos confrères l’a fait, Manuelle Gautrand, la dernière en date, pour un somptueux immeuble vert financé par Nexity.
Enfin, puisque AMO ne signifie définitivement pas autisme, mépris et outrages, je voudrais saluer tous ceux qui, du côté de la maîtrise d’ouvrage prenne le risque d’un dialogue avec un architecte, c’est à dire avec un homme ou une femme, avec ses forces et ses faiblesses, qui, pour abriter leurs activités d’utilisateur, de promoteur ou d’investisseur, donne un volume, une couleur, un profil à leurs rêves, apporte ses idées et offre sa sensibilité, son savoir-faire et sa compétence. Sans eux, nos villes et nos vies seraient d’une grande laideur, d’une grande monotonie.
De ce point de vue, la Fondation Louis Vuitton est un joli résumé de nos préoccupations. Elle abritait, hier, au même endroit et à la même heure un couple extraordinaire : Franck Gehry et Daniel Buren. Mais c’est à un autre duo que je voudrais rendre hommage. La Fondation Louis Vuitton, ces 2584 panneaux de verre, ces 19 000 feuilles blanches de Ductal, ces trente brevets exclusifs, son auditorium en Corian, n’existeraient pas en effet sans la volonté visionnaire de Bernard Arnault, sans le génie créateur de Franck Gehry, mais surtout sans l’alliance de leurs deux intelligences, sans la confiance mutuelle qu’ils se sont faites sans rien laisser au hasard, ni s’enfermer dans un cahier des charges, en devenant complémentaires et non rivaux, l’un le mécène polytechnicien, l’autre l’artiste californien, accompagnés de la vigilance et entourés de la bienveillance de mes amis Bertrand Delanoë et Renaud Donnedieu de Vabres, puis de Frédéric Mitterrand.
Je pourrais multiplier les exemples de cette libre association entre un manager et un créateur, dualité sur laquelle repose le succès des maisons du Groupe LVMH. Elle se retrouve dans la plupart de nos réalisations architecturales et puisque je suis le directeur immobilier de ce groupe, je voudrais en citer trois exemples. Je pense à La Samaritaine qui a vu autrefois s’établir le partenariat des Cognacq-Jay avec Frantz Jourdain et Henri Sauvage et qui, devenu monument historique, se poursuit aujourd’hui par celui qui nous unit à l’agence japonaise Sanaa et à Edouard François. Je pense aussi à la manière que nous avons eu de construire notre siège Avenue Montaigne avec la complicité de Jean-Jacques Ory et de Jean-Michel Wilmotte. Je pense enfin à la concession future du Jardin d’Acclimatation, derrière ces vitres, que Napoléon III, l’Impératrice Eugénie et Hausmann n’auraient pu réaliser sans Alphand, Davioud, Barillet-Deschamps et que, à la demande d’Anne Hidalgo et de Bernard Arnault, nous allons refaire de fond en comble avec Jean-François Bodin, Jim Cowey, Philippe Deliau, Didier Balland et Arnaud Delloye pour que les gamins de Paris puissent encore longtemps se souvenir du « Petit Train » et de « Rivière Enchantée ».
C’est pourquoi j’ai été heureux que l’on me propose la présidence de ce jury dont j’avais déjà été membre sous l’empire du Préfet Jean-Pierre Duport. En célébrant les noces du Maître d’Ouvrage et de l’Architecte, le Prix AMO veut rendre hommage à des réalisations à la fois belles et utiles, les rendre visibles au-delà de leur territoire et de la communauté qui en bénéficie directement au quotidien. J’ai été heureux de ces journées où, avec Madame la directrice de l’architecture, architectes, fonctionnaires, journalistes, entrepreneurs (je songe à mon collègue de la Cour des comptes Michel Clair), nous avons séparé le bon grain de l’ivraie. Le choix était difficile. La moisson de talents de l’édition 2016 du Prix est en effet exceptionnelle et, s’il y a un palmarès, il comporte sa part d’arbitraire tant laboratoires scientifiques marseillais, résidences solidaires d’Emmaüs, habitat participatif lyonnais, logement social du marais, centrale à béton du périphérique, immeubles malouins, sièges d’entreprises dans le Sud-Ouest ou en banlieue parisienne, tours nantaises, bref tout ce que nous avons vu, était enthousiasmant, plein d’astuces et d’audaces. Abondance de biens ne nuit pas. Avec nos sponsors, GRDF et Saint-Gobain, nous n’avons finalement qu’une seule envie. Vous faire partager notre émerveillement devant ce qui est cohérent avec la « Stratégie nationale pour l’architecture » portée par votre ministère pour « transformer le quotidien des Français » et « promouvoir, auprès d’eux, la connaissance » de l’architecture avant la première édition des Journées nationales de l’architecture les 14, 15 et 16 octobre prochains. Nous en sommes en quelque sorte le beau préambule. Merci. Bonne soirée. Revenez à la Fondation Louis Vuitton et au Jardin d’Acclimatation.