19
JUIN
2017
La majorité la plus mal élue de la Vème République
Le second tour des élections législatives ne pouvait que confirmer la tendance observée dimanche dernier. Il a donc assuré au nouveau Président de la République une majorité dont le caractère inédit relève autant de sa composition, à la fois hétéroclite et monocolore, que de son profil, renouvelé, mais déroutant, que de son ampleur dont on ne sait si elle sera gage d’efficacité ou de lourdeur pour le Gouvernement.
Plus de 350 députés forment désormais, pour les cinq années qui viennent, la majorité parlementaire dont disposera le Président de la République. Elle lui permettra de mettre en œuvre le programme de réformes qu’il a annoncé, mais dont il n’est absolument pas certain qu’il a été intégré et accepté par les Français qui l’ont élu le 7 mai dernier. Cette situation ambiguë est la conclusion logique et mécanique d’un cycle présidentiel et législatif où la confusion et le flou auront été prédominants.
Seul élément certain : l’abstention, associée à l’importante somme des bulletins nuls et des votes blancs, est devenue la seule et réelle majorité de notre pays. C’est cette majorité qui a permis au chef de l’Etat de l’emporter, comme autrefois au Front National de peser, puisque ce sont principalement ses électeurs qui se sont déplacés. Mais c’est une majorité inerte et lointaine, une majorité inutile et invisible, une majorité silencieuse et bougonne, dont il faut s’inquiéter qu’elle aille chercher ailleurs qu’à travers les débats d’un parlement godillot, les garanties sociales qu’elle attend. 60% des Français et des Eurois ont choisi de ne pas suivre, de ne pas s’exprimer, de ne pas approuver. Cette réalité jamais observée auparavant souligne non seulement le faible intérêt des électeurs pour un second tour dont l’issue avait été largement dessinée dimanche dernier, mais aussi la sourde réprobation d’une partie du corps citoyen devant le bonapartisme digital du nouveau Chef de l’Etat. Ajoutons que la succession des primaires de la droite et de la Gauche, puis des élections présidentielle et législatives, succession censée donner du souffle à notre démocratie, l’a en fait épuisée.
L’Eure, comme un très grand nombre de départements métropolitains, se verra désormais exclusivement représenter par des députés d’En Marche. C’est paradoxalement une promesse d’immobilisme. C’est un appauvrissement intellectuel. On s’inquiètera, hormis pour un ancien ministre de Nicolas Sarkozy réélu au prix d’un changement d’étiquette à vue dans la 1ère circonscription, de l’aura limitée, du faible charisme, des capacités vacillantes de ces élus de circonstance. On remarquera leurs incohérences idéologiques et leurs invraisemblances politiques. Comme partout, on notera qu’ils ne représentent que la France qui va bien, des bien-pensants et des bien-portants, à laquelle, élus professionnels, amuseurs radiophoniques, médecins, fonctionnaires, ils appartiennent. Ce sont les « heureux du siècle ». Attaché aux valeurs qui fondent la solidité de nos institutions et de notre République, je salue cependant leur victoire et adresse à ceux qui l’ont méritée, Bruno Le Maire, Fabien Gouttefarde et Marie Tamarelle, des félicitations sincères. Ils ont œuvré, sans provocation ni arrogance, au rassemblement de tous les républicains, démocrates et progressistes lors de cette campagne d’entre-deux tours.
Tous les candidats du Front National échouent dans toutes les circonscriptions de notre département. Leur impossibilité à travailler et à proposer un projet à la fois crédible et sérieux, juste et respectueux, a été durement sanctionnée par les électeurs eurois. Dans l’ensemble des territoires de notre département, dans nos villes comme dans nos campagnes, leurs résultats sont en très net recul par rapport au second tour de l’élection présidentielle. Je m’en réjouis, mais ne m’en satisfais pas. La présence systématique du Front National au second tour de chaque élection depuis les dernières élections municipales ne peut devenir automatique.
Dans un paysage politique devenu monocolore, la Gauche, éliminée au 1er tour dans notre département, réduite à la portion congrue dans la future Assemblée, est à reconstruire totalement. Un espace existe pour une formation qui ne soit ni hostile ni docile, pour une force progressiste qui ne tombe ni dans le radicalisme mélenchonien ni le contentement macronien. Sur la solidarité et le refus des propositions qui tendraient vers l’exclusion, sur la protection des salariés et l’opposition à des mesures qui aboutiraient à leur réduction, sur la fiscalité et le rejet de toute loi qui renforcerait les inégalités et appauvrirait les retraités et les moins aisés, des réponses de justice sociale et d’égalité devront être apportées. Il faudra dire à la fois notre désapprobation sur la réforme du Code du Travail, sur la hausse de la CSG, sur la baisse de la fiscalité au seul bénéfice des plus fortunés, sur les menaces qui pèsent sur l’assurance chômage, et, en même temps, être en capacité de proposer de nouvelles solutions, d’amener de vraies propositions.
Le pluralisme des opinions et la nécessité d’une confrontation libre et démocratique, qui ne trouveront plus aucune expression au Palais Bourbon, doivent perdurer. Pour cela, il faudra s’appuyer sur le travail de proximité de nos élus locaux, dans les majorités municipales de Val-de-Reuil, Pont de l’Arche, Verneuil sur Avre, Serquigny et Pont-Audemer comme dans les oppositions, avec Martine Séguéla aux Andelys et Timour Veyri à Evreux, retisser des liens plus solides et plus profonds avec le milieu syndical et associatif, et, plus généralement, amener le débat sur des positions que la future Assemblée Nationale ne défendra pas. La Gauche devra, demain, avec ses partenaires et ses alliés, travailler, amender, débattre et proposer. Si son appareil est à repenser, ses idées, elles, plus que jamais, ont un sens et un intérêt. La situation politique impose de nous réinventer. Nous en avons le devoir et la responsabilité.