9
DEC
2013
Né quelque part.
Il y avait au siècle dernier – c’est du XXème que je veux parler – un sketch assez drôle dans lequel le narrateur, qui n’était pas bête « puisqu’il était douanier », se plaignait amèrement de tous ces étrangers qui venaient « manger le pain des Français ». Borné, jaloux, incapable, il était, l’air de rien, le porte-parole de la bêtise ordinaire, celle des racistes de tout crin et de tout poil, des poujadistes au front bas et aux naseaux fumants, des populistes de bas étage et à haut débit, de ces milliers de Dupont-la-joie qu’il nous fallait, avec leur petit pull « marine », endurer dans la vraie vie et qu’il faut supporter, désormais, à travers les blogs, les tweets, sur facebook, et snapshoots, dans l’univers du tutti quanti numérique que leur rancœur anonyme a malheureusement colonisé. La chute du sketch était simple. « L’étranger c’était le boulanger. Depuis on ne mange plus de pain ». Il m’arrive, depuis que je suis lancé dans la compétition municipale à Val-de-Reuil, de temps à autre, quelque chose du même ordre. Comme on ne peut pas m’attaquer sur mon bilan que, avec un peu d’honnêteté, on a du mal à critiquer, on me reproche d’être le métèque de service de notre jolie cité.
Je ne serais pas de Val-de-Reuil ? La belle affaire, personne n’y est né. Et pour cause ! Il n’y a pas de maternité. Les seuls véritables autochtones sont les enfants des parturientes pressées que, sur l’autoroute, les pompiers font accoucher. C’est un peu limité et très passager comme population. On considérera également que dans une ville cosmopolite, où beaucoup de nos concitoyens ont des parents qui ont vu le jour loin de la Normandie, ce débat est légèrement malsain. On se rappellera même que, face aux pionniers qui s’installaient dans la Ville Nouvelle, ce fut souvent la première des critiques de nos voisins qui, depuis Charles Martel, étaient à bon droit enracinés dans ce magnifique méandre de la Seine qui va d’Andé à Pont de l’Arche en passant par Poses et Tournedos. De certains Rolivalois, on osa souligner, mezzo voce, qu’ils n’étaient pas venus au monde du bon côté de la Méditerranée. Je me suis un jour fâché avec un édile de poids de notre intercommunalité qui proférait de telles insanités à l’encontre d’un homme qui a fait beaucoup pour que je vienne à Val-de-Reuil habiter. Tout cela reste au fond un peu idiot quand on songe que notre commune n’a, elle-même, été portée sur les fonds baptismaux qu’en 1985 et que personne, m’entendez-vous personne, ayant soufflé plus de 28 bougies sur son gâteau d’anniversaire ne peut s’autoriser à s’autoproclamer rolivalois de souche pure. Ce droit du sol sélectif qui devient le droit du sang local me fait d’ailleurs vomir.
On me dit que je n’habite pas, que j’y vis peu dans notre commune. Juste l’essentiel de ma vie… Pour Val-de-Reuil, il y a lundi à l’aube région, jeudi intercommunalité, vendredi rendez-vous institutionnels, samedi audiences habitants et mariages en blanc, dimanche nos nombreux événements, tous les soirs ou presque une réunion, vous m’excuserez du peu et quel rolivalois ne m’a pas vu arriver sur un accident ou quand il y avait le feu. J’ai musardé comme beaucoup, logé d’abord voie de Bas, au 27 tout un programme, à l’époque où elle était, façon Belfast au petit pied, un vague ligne de front pour de petits voyous, ensuite dans la quiétude de la rue du Coteau, puis dans les maisons dites Korangi, avant de trouver un endroit calme et tranquille où me poser sans qu’on frappe à ma porte pour un problème de vaches mal gardées. Et oui, il fait bon parfois être discret. Je note, pour en sourire et m’en féliciter pour eux car je suis heureux qu’ils soient heureux, que certains de mes contempteurs ont construit sur des terrains que j’ai lotis. Jolie performance pour un absent. Mais se sont-ils seulement rendu compte de l’ironie de cette histoire ?
Alors arrive l’estocade. Je n’aurais que distance et indifférence pour ma Ville. Val-de-Reuil, outre qu’elle est ma passion, est mon centre de vie et d’intérêt. Je l’ai étudiée en fac de géographie dès 1979. Qui dit mieux ? Je l’ai sauvée de la faillite avec Laurent Fabius. Qui dit plus ? Je travaille pour elle sans cesse, pour sa dette, pour son avenir, pour son image, pour son respect, l’arpente continuellement à toutes les heures du jour et de la nuit, en connais les moindres recoins, parfois les secrets, toujours les entrailles, circule autant dans son centre que dans sa périphérie, visite ses ateliers et ses usines, ses forêts et ses prairies, les endroits où nul ne va jamais, ceux que la police vous montre, ceux que la prison vous cache et ceux que l’armée interdit. J’y ai aidé quantité de gens, souvent des jeunes, pour une bourse, un stage, un emploi. Le Maire, il a un bon réseau, disent-ils en rentrant dans mon bureau. Cela ne marche pas à tous les coups et est plus dur qu’on ne le croit, mais cela vaut mieux qu’un maire qui n’en aurait pas du tout.
Val-de-Reuil, j’en parle tant au point d’en ennuyer certains, ne suis salué un peu partout, parfois aux antipodes, que comme le premier magistrat de la plus jeune commune de France et en suis fier, y ai laissé quelques plumes questions boulot et perdu quelques illusions côté ego. Le Président de la République m’appelle comme cela devant les indiens ou les japonais qui n’y comprennent rien, mais, lui, cela le détend, alors tant mieux, il en a besoin. Dans ma ville, je fais du sport, quand je n’y remets pas coupes et médailles, et, de nouveau, y courrai dès que mon genou sera opéré… à Rouen après les élections. J’y ai des amis sincères et des ennemis qui le sont plus encore. C’est dire. Je m’y présente aux élections depuis 14 ans et j’y vote. J’y représente mon parti et soutiens des candidats qui ne me le rendent pas (ou pas toujours). N’est-ce pas ainsi qu’un territoire devient terroir ? J’y ai mon compte en banque, à la caisse d’épargne s’il vous plaît, les livrets des mômes y furent ouverts, et j’y rembourse mes crédits (y compris pour faire campagne). Accessoirement j’y dépense mon salaire. Mon vieil Espace Renault, celui qui a remplacé le Voyager Chrysler aux sièges déglingués que j’ai donné à un club de la Ville, y est bien sûr immatriculé. Ma voiture d’entreprise aussi.
Pas d’attaches me dit-on ? Mes enfants y ont passé le Bafa, le permis, leurs stages, leur journée d’appel à Evreux etc. Ils n’y vont pas à l’école. Ma grande approche des trente ans et est avocate. Mon grand est ingénieur et part en Australie. Ma femme s’occupe régulièrement de nos seniors et, parfois, on serait étonné de l’identité de ceux dont on recueille la détresse au repas des aînés parce qu’un fils n’est pas assez attentionné ou un petit fils trop éloigné. « Il font leur sport plutôt que de me visiter» me disait récemment une charmante vieille dame esseulée dont on n’aurait pas cru qu’elle fut de mes partisans. Excusons ceux qu’elle visait. Ces propos sont assez communs et souvent infondés. Ma mère aussi me disait cela avant qu’elle ne meurt brusquement. Sauf qu’elle me reprochait d’être toujours à m’occuper de Val-de-Reuil plutôt qu’à l’assister. Que dire des vivants ? Mon père habite Comteville dans l’Eure depuis dix ans au moins et s’y sent bien. Il va chercher ses journaux dans la Ville de Jean-Louis Destans, mes beaux-parents dans la communauté de communes d’Ezy là aussi dans l’Eure, la grand-mère de ma femme est décédée à la Couture-Boussey dans l’Eure. Un genre de grand chelem !
Non vraiment, on ne fait pas plus Eurois et Rolivalois que moi, ma foi.