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8 JAN 2013

Il y a 17 ans…

J’étais dans mon bureau de directeur de cabinet du groupe socialiste. Sous les toits de l’Assemblée Nationale. Il était 8 heures du matin. Pierre Joxe est entré. C’était la première fois, en dehors de la traditionnelle remise du rapport annuel dans l’hémicycle, que je le voyais au Palais Bourbon qui lui était interdit depuis sa nomination à la Première Présidence de la Cour des comptes. Je me suis simplement demandé ce qu’il faisait là. Il avait l’air aussi rigide et impressionnant qu’il peut l’être d’ordinaire, mais sans l’autorité, l’agacement ou la colère qu’on lisait souvent sur son visage. Quelque chose de plus profond et de différent. « Jamet, où est Fabius, je veux le voir tout de suite ». J’ai appelé Laurent. Ils se sont enfermés dans son bureau tapissé de livres qui avait été vingt ans auparavant celui de François Mitterrand. J’ai jeté un oeil sur la « vanité » que Fabius laissait sur son bureau à la manière d’un « memento mori », un crâne de bronze hurlant, peut-être de Rodin, mais qui impressionnait les visiteurs. J’ai refermé la porte sur eux. Cela n’a pas duré longtemps. Dix minutes après, tout au plus, ils sont ressortis. Pas de larmes, mais émus, traversés d’impressions, de souvenirs, de reconnaissance et sans doute aussi des restes d’anciens ressentiments. Le vieux, comme disait Emmanuelli, avait été parfois injuste, blessant, dur. Je l’avais éprouvé. Il avait bloqué ma nomination au CSA d’un assez cruel « j’ai déjà nommé le père à la bibliothèque de France, je ne vais pas placer toute la famille ». Laurent qui l’avait servi à partir de 1976, qui avait été son Premier Ministre, qui l’avait entendu, un soir, à la télévision, ne pas dire les mots justes et expliquants qui auraient évité qu’une tragédie sanitaire (que son jeune Chef de Gouvernement, paradoxalement, avait, presque seul, combattu) ne se transforme, certains instrumentalisant la douleur, en piège politique, l’avait subi autrement plus durement que moi. C’est lui qui s’est tourné vers moi et ses lèvres ont dit : « Mitterrand est mort cette nuit ». L’Histoire, la grande, a rempli ma petite pièce. Le regard de Laurent était loin. Très loin. Dans ma tête tout est revenu. Le 10 mai, l’adoration folle de ma mère et de mon grand-père, l’enterrement de Bérégovoy, le départ de l’Elysée en passant par Solférino, le bureau de Védrine et l’arbre de Noël des enfants dans le palais de la rue du Faubourg Saint-Honoré, le Congrès de Liévin, un invraisemblable repas où le sphinx mourant avait réuni ses premiers ministres et ses grands féodaux nous laissant le terrible docteur Tareau, passeur vers l’enfer, et moi au bout de la table, mon père pleurant en recevant de ses mains, un des derniers, la légion d’honneur ou rentrant à la maison en 74 éberlué d’avoir avec le chat de chateau-Chinon brûlé tous les feux au retour d’un meeting. Le ciel était gris. Je me suis mis à ecrire un communiqué de presse.

© 2011 Marc-Antoine Jamet , Tous droits réservés / Wordpress