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AVR
2012
Rêverie de Gauche et délires toulousains
Le Président sortant, qui entame l’ultime semaine de son premier et dernier quinquennat, ne peut pas être, uniquement, entouré des époux Balkany, de Didier Barbelivien et de l’ardent M. Buisson. On ne souhaiterait pareille torture y compris à son pire ennemi. A compenser ces redoutables cerveaux, Carla, au quotidien, ne suffirait pas.
Il existe donc, aussi, bizarrement, près de lui, pour « remonter le niveau » des gens talentueux, bien que paradoxaux, comme Henri Guaino. Ce dernier, habile bretteur, pratique le petit art subtil qui consiste à écrire des discours, à être la voix et le style d’un homme politique, à remplir cette fonction, naguère vouée à l’anonymat et à l’obscurité, aujourd’hui mise en avant, sans pudeur, à Gauche comme à droite, sous le titre de « plume » sans que l’on sache si celle-ci ne se fiche que dans les encriers.
On notera en passant, pour avoir pratiqué cette discipline, que les vrais hommes politiques n’ont pas besoin de ventriloques. Observant qu’ils ne sont pas arrivés là où ils sont totalement par hasard, ni sans avoir surmonté quelques épreuves délicates faites de colloques, de sommets et autres congrès, grands ou petits, qui supposent, tous, fatigués ou en pleine forme, de maîtriser en permanence l’expression publique, on ne fera l’injure à aucun des deux finalistes du 6 mai de croire que, si le temps leur en était donné, il ne parviendrait pas à aligner, par eux mêmes, un raisonnement, trois phrases et deux citations avant de monter sur une estrade pour s’adresser à leurs partisans ou aux écrans. Laurent Fabius qui s’exprima, sans la moindre note, pendant une heure, mardi dernier, à Val-de-Reuil, pour dévoiler et décrypter les enjeux du second tour, est, régulièrement, la vivante, brillante, intelligente et éloquente illustration d’une France où les tribuns s’apparentent davantage au disert Obama qu’au triste Bush.
Mais la course à l’élection exigeant décidément la mobilisation d’une équipe de « ghost writters », il y a même, caché sous les combles du palais de l’Elysée, pour aider son actuel locataire à formuler ses propositions contradictoires et tenter de ramener un peu de sens et de clarté dans ses paroles précipitées, des collaborateurs intelligents et cultivés comme Camille Pascal qui, pour lui, avec une certaine abnégation, aligne mots et idées en essayant de lui éviter le pire du racolage, du pillage et du plagiat du programme de l’extrême droite.
L’un et l’autre, Guaino et Pascal, qui ouvrent des livres et, même, les lisent, sont sans doute les auteurs du kidnapping le plus osé du week-end. Après Jaurès, rapté voici cinq ans, Régis Debray a fait les frais, ce dimanche, à Toulouse, des deux auteurs/enleveurs professionnels de l’UMP. Un de ses derniers livres, « Eloge des Frontières », s’est ainsi retrouvé « à l’insu de son plein gré » mobilisé – entre viande Hallal et appel des 700 mosquées – au service du candidat sortant, s’envolant dans l’atmosphère de la ville rose propulsé par le mouvement des lèvres de l’ancien maire de Neuilly, à ceci près que les thèmes en étaient isolés et sortis de leur contexte pour être retournés et détournés.
La frontière, pour l’écrivain, était l’éloge de la différence, de la diversité, du cosmopolitisme. Revue par les Roux-Combaluzier du sarkozysme, elle est devenue synonyme d’exclusion, de repli sur soi et de peur de l’autre. Singulier et volontaire contresens. Double saut périlleux arrière et triple salto les yeux bandés. Bravo les artistes. Salut les acrobates.
Alors, pour de nouveau retrouver le plancher de nos vaches normandes, on consultera utilement, comme disent les professeurs et les libraires, le dernier ouvrage de Régis Debray, paru chez Flammarion quelques jours seulement avant le premier tour de l’élection présidentielle. C’est un court livre d’une centaine de pages. Il faut le lire. Non seulement parce que son titre peut avoir une certaine actualité, non seulement pour purger l’air des impostures de circonstances, mais aussi parce qu’on y retrouvera dans son second chapitre, pour ceux qui ont loupé la conférence donnée par le médiologue mélenchonesque en hommage à l’historien et résistant Marc Bloch, en octobre dernier, au théâtre des chalands de Val-de-Reuil, à l’occasion du vingtième anniversaire du lycée de notre ville qui porte son nom, la trame ou l’inspiration des propos qui furent tenus et qui nous captivèrent.
Une autre façon pour Val-de-Reuil de contribuer au rêve de la Gauche. Une autre façon pour la ville nouvelle de contribuer au rêve français.