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9 JUIL 2020

Pour une agglomération (enfin) démocratique, efficace et moderne !

Pour une agglomération (enfin) démocratique, efficace et moderne !

Ce soir, lorsqu’il faudra élire le Président de l’agglomération Seine-Eure, avec mes camarades et amis rolivalois, nous voterons pour le candidat de la Justice Sociale, de l’Égalité des Chances et du Progrès, pour le Maire de Pont-de-l’Arche Richard Jacquet. Cela n’empêchera pas le conservateur, le sortant Bernard Leroy de l’emporter. Confortablement. Logiquement. Adhésion opportunément sollicitée de quelques communes géographiquement éloignées, mais politiquement complices, fusion avec Eure-Madrie-Seine cousine désargentée accueillie à bras ouverts non sans arrière-pensées, campagne électorale activement menée depuis quatre mois à pas feutrés, prébendes et finances sagement pré-distribuées, le vainqueur, derrière une bonhommie de chanoine, est habile. C’est un talent indispensable pour gagner et ce n’est pas sa seule qualité. Il n’empêche : cette élection expédiée en catimini prive plus de 100.000 citoyens d’un débat de fond sur l’avenir et la forme de leur agglomération. Alors, comme rien ne sera audible dans le tumulte du triomphe annoncé, il faut prendre les devants et rappeler quelques vérités.

Cette victoire ne sera pas démocratique puisqu’elle ne bénéficiera pas de l’onction du suffrage universel. Seine-Eure n’est pas une collectivité locale. C’est un établissement public. Ceux qui y siègent ne sont pas les représentants politiques d’une population, mais les « délégués » administratifs d’un territoire. Ce ne sont pas des députés, mais – au mieux – des ambassadeurs. Ils n’ont pas été choisis sur un programme ou pour un visage, mais préemptés automatiquement et collectivement parmi les premiers des listes qui se sont affrontées aux dernières municipales. Nul n’aura donc la naïveté de croire que les habitants concernés auront été consultés, ne serait-ce qu’au second degré, pour désigner les « conseillers » intercommunaux qui vont former, pour une soirée, un corps électoral éphémère. L’opération ne pourra se dérouler qu’en détournant les yeux de deux ou trois inégalités dérangeantes. Les délégués de Crasville ou de Saint-Germain-de-Pasquier, collègues estimables, compte tenu de la taille de ces communes, auront été portés, tout au plus, par une grosse centaine de supporters (1 délégué pour 125 habitants), tandis qu’il en aura fallu plusieurs centaines pour nommer ceux de Val-de-Reuil (9 délégués pour 15.000 habitants) ou de Louviers (une dizaine pour 18.000 habitants). Ces contorsions s’expliquent par l’objectif recherché : on peut douter qu’une communauté regroupant 105.000 femmes et hommes, au terme d’une compétition rationnelle, se donnerait pour président, quel que soient ses mérites personnels, le Maire d’une commune de moins de 4000 âmes dont les candidats sont, depuis vingt ans, régulièrement battus aux législatives, aux régionales, aux cantonales. On passera sur le manque de parité, l’absence de diversité, l’âge élevé des membres de l’Assemblée qui débute, puisque ce ne sont là -précisément- que les conséquences du manque de légitimité démocratique qui la fonde.

Cette victoire sera celle de la confusion. Qui peut-dire quelles sont les compétences de l’intercommunalité  ? Personne. Pas plus que le nom de ses principaux responsables. Une chatte n’y retrouverait pas ses petits. Tantôt l’agglomération exerce ses pouvoirs dans leur plénitude, mais sur une partie seulement de son territoire (jeunesse, urbanisme). Tantôt elle les pratique sur la totalité de sa superficie, mais de façon incomplète (propreté, politique de la ville). Parfois, son action fait apparaître les vertus de certaines mutualisations (eau, assainissement). Parfois, au contraire, sa présence ne se fait qu’au profit d’une seule et unique commune (patinoire et piscine de Louviers, conservatoire de Gaillon, centre d’artisanat du Vaudreuil, etc…). Coexistent en son sein l’excellence du cousu main pour faire briller les événements de prestige ou d’image qui servent sa communication (marathon, coopération avec le Bénin, fêtes nautiques, petites scènes théâtrales), mais dont rien ne justifie l’organisation, et, pour gérer son fonctionnement quotidien, c’est à dire les conditions de vie de dizaines de localités, bref tout ce à quoi elle devrait s’obliger, l’uniformité d’un prêt à porter grisâtre imposé à tous au mépris des identités, des traditions, des histoires, des particularismes et des cultures. Une décision pourrait mettre fin à ce ronronnement sinistre qui fait le jeu des populistes. L’agglomération, aussi méconnue et mal-aimée que l’Europe, son modèle en voie de putréfaction, restituerait l’ensemble de leurs compétences aux communes, plébiscitées par les Français, et se consacrerait à dix priorités définies en commun, à dix synergies acceptées par tous. On appellerait cela « subsidiarité ». Quelle belle idée ! Ainsi Seine-Eure, structure attrape-tout s’agitant dans tous les sens, grenouille qui se prend pour un bœuf, embrassant trop pour bien étreindre, au lieu de dépenser l’argent des communes pour faire à leur place ce dont elles sont parfaitement capables, se concentrerait sur le temps long et les initiatives structurantes synonymes d’emploi et de croissance.

Cette victoire sera celle de l’immobilisme. A 60 clochers la paralysie guette autant notre rassemblement qu’à 27 pays le continent. La gestion d’un aussi vaste ensemble impose d’être ambitieux, innovant et pragmatique. Gageons que, dans notre cadre quasi fédéral, aucune réforme d’importance ne verra le jour avant 2026. Trois décisions témoigneraient pourtant chez celui qui les mettrait en œuvre d’une certaine force de caractère, de la priorité donnée à l’intérêt général et d’une véritable hauteur de vue. D’abord, arrêtons de plaindre hypocritement les petites communes. Elles n’ont plus les moyens de leur gestion, de leur entretien, de leur sécurité. Le temps des vaches grasses, s’il revient un jour, est encore loin qui pourrait les leur redonner. Il faut fusionner, construire des ensembles viables, jouer de la proximité. On se fait peu d’amis en affirmant cela, mais Alizay, Pitres et Le Manoir ont des choses à se dire. Incarville et Pinterville, c’est Louviers. Léry et Poses, qui ont, avec Val-de-Reuil, des préoccupations, des dossiers, des projets en commun, devraient se rapprocher. On peut multiplier les exemples. Ensuite, cessons de fermer les yeux sur la situation privilégiée de ces villages à faible fiscalité qui profitent – et c’est heureux, car c’est cela la solidarité – des impôts plus élevés des villes voisines pour jouir de leurs services publics, non sans leur asséner – c’est osé – des leçons de frugalité. Une meilleure répartition des efforts entre tous les contribuables de Seine-Eure serait plus moral que ponctionner les recettes des quartiers les plus pauvres. Enfin ne traitons pas un ensemble de 543 km2 et de 173 millions de budget comme un canton creusois. Il est temps de subdiviser ce géant normand en sous-ensembles à taille humaine, entre cinq et dix « arrondissements », à partir desquels seraient gérés un certain nombre de missions de proximité sous le contrôle des élus qui en sont issus. Va-t-on encore longtemps, entre Vexin normand et Métropole de Rouen, décider de tout et de rien, de la pluie et du beau temps, du sexe des anges et de l’âge du capitaine depuis le bâtiment hideux, mal foutu et technocratique qui abrite le haut commandement de l’agglomération ? Pour combler un trou sur une route à Alizay ou à Acquigny, verser un demi-seau de bitume exige-t-il vraiment, en 2020, un ordre en trois bordereaux tombé depuis le quartier général de la Place Thorel ?

Enfin, quand bien même son nouveau président (dont j’ai dit qu’il se pourrait bien qu’il ressemble à l’ancien) ferait-il preuve le plus souvent de courtoisie républicaine et d’équanimité personnelle à l’égard de ses opposants qu’il consulte souvent et écoute rarement, combien de temps feignera-t-on de croire qu’il dirige son fief autrement que selon les mécanismes politiques qui le rattachent à la droite ? Ses barons, Moglia, Dufour, Bidault sont de droite. Ce n’est pas une attaque. Ils ne s’en cachent pas. Ses alliés, Terlez et Priolaud (auquel il donnera indemnité et statut particuliers sans s’en expliquer), sont de droite et ont été reconduits grâce à la navrante désunion de la Gauche lovérienne, certes, mais également en les dopant aux millions d’Euros que région et agglomération leur ont versés pour les garder en leur giron libéral. Il n’est pas jusqu’à ses querelles contre Lehongre, son inimitié pour Lecornu à qui il préfère, tous les gouts sont dans la nature, Maurey et Morin, qui ne soient typiquement de droite. Reconnaissons toutefois que son caractère affable et des convictions sans sectarisme, ses valeurs, son humanisme peut-être, poussent Bernard Leroy à s’entourer de toutes les sensibilités, à défaut de gouverner avec elles, à ne rejeter, en dehors des extrêmes, aucun des membres de son mini-parlement. Il faut lui en savoir gré. C’est pour cela qu’il prête peu le flanc aux attaques et que ces contempteurs, j’en suis le premier, passent facilement pour d’horribles personnages. Il lui arrive même de faire montre de neutralité, voire d’impartialité, presque de bienveillance, lorsque la distanciation sanitaire l’éloigne de ses mauvais génies, le bon docteur Madroux, qui coula notre base de loisirs, et le brave conseiller Jubert, invisible au département. Mais sa quête éperdue d’unanimisme, ce besoin louable de consensus, ne peuvent faire oublier les astuces qui, depuis l’origine de l’intercommunalité, visent à éviter méthodiquement questions et débats : ordres du jour surchargés qui font trancher dans la nuit des points essentiels, relégation des mal pensants aux derniers des gradins tandis que les bénis-oui-oui monopolisent les premiers, sujets budgétaires minimisés et expédiés, impossibilité d’amender, absence de public, séances non retransmises, opposition ne bénéficiant d’aucun moyen, refus des discussions de fond, indignation orchestrée lorsqu’un échange dure plus qu’un instant.

Alors oui, pendant six ans on peut cohabiter avec Bernard Leroy et ce peut être délicieux. Comme la table d’hôtes d’une pension de famille accueillante. Nous l’avons déjà fait. À l’usage, il n’est ni un despote, ni un dément. Son commerce est agréable. Tout juste devrait-il par un courageux coming-out avouer sa coupable passion pour l’antique démocratie chrétienne. Les choses seraient plus franches. Mais, une fois tous les six ans, à l’orée d’un mandat, et à chaque échéance importante, par clarté, par honnêteté, par cohérence, il faut aussi oser lui dire que, si son propos est responsable et structuré, s’il est facile de se retrouver avec lui autour de mesures de bon sens, de décisions locales, d’initiatives dont on conviendra qu’elles ne sont ni de Gauche, ni de droite, ses idées politiques, son positionnement à l’extrême centre et son giscardisme rural, son désintérêt pour les plus faibles, son indifférence pour les moins riches, son silence sur les questions éducatives et sociales, bref son projet de société, ses initiatives et ses priorités économiques qui le rapprochent de Raymond Barre ou d’Antoine Pinay, ne sont décidément pas les nôtres qui préférons Mendès-France ou Mitterrand. Je ne le lui cache pas en privé. Il me revenait naturellement de le lui rappeler publiquement.

Marc-Antoine JAMET

Maire de Val-de-Reuil,

Président de la commission des finances de la Région Normandie 

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