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SEPT
2018
Discours prononcé à l’occasion d’un mariage que je célébrais samedi 22 septembre à la Mairie de Val-de-Reuil
Prononcé à l’occasion d’un mariage.
Samedi 22 septembre 2018 à midi – Mairie de Val-de-Reuil
Madame, Monsieur, chers concitoyens, chers amis,
Je suis heureux de vous accueillir ici, dans la modeste mairie de la plus jeune commune de France : Val-de-Reuil, notre Ville, la Ville où vous habitez. Parce que cette maison est celle de tous les Rolivalois, sans exception, sans différenciation, sans discrimination, elle est, aujourd’hui, d’abord la vôtre. A la faveur de votre mariage, elle s’ouvre à vos familles, à vos amis pour un moment de joie, pour une fête dont, vous comme eux, vous vous souviendrez toute la vie. Je vous autorise d’ailleurs, comme vous êtes à mon agenda le seul mariage inscrit, à rester ici jusqu’à minuit si vous le cœur vous en dit. Mais je crois savoir qu’une fête s’organise non loin d’Elbeuf et cela soulage les agents municipaux qui s’inquiétaient, pour l’allongement de leurs horaires de travail, qui plus est un samedi, de la générosité soudaine et inconsidérée de ma proposition…
Ainsi qu’il est normal, j’ai pris connaissance attentivement de votre dossier. Nous nous sommes, Madame, hier longuement rencontrés. Ce que j’ai lu, ce que j’ai entendu, m’a appris que vous travaillez tous les deux pour une entreprise bien connue de notre Ville, le bailleur social IBS, l’un comme gardien, l’autre comme agent d’accueil. Pourtant, plutôt que de vous loger dans un des nombreux immeubles de votre employeur, vous avez préféré habiter, Madame, place du climat, chez votre mère que je connais et salue, dans un projet de la Mairie, l’éco-quartier des Noés construit par la Siloge et qui a remporté des dizaines de récompenses environnementales. Nous avons tous nos petites contradictions, nos paradoxes cachés. Il en est de pire que de ne pas donner un loyer supplémentaire à son patron. Je vois plutôt dans cette adresse une manière de rappeler que, pour les générations qui viennent, pour les enfants que vous allez avoir, le problème le plus important ne sera pas telle ou telle question philosophique ou esthétique, voire vestimentaire, mais l’avenir écologique de la planète. Ce qui relativise bien des débats…
Vous êtes tous les deux jeunes , 29 et 24 ans, et sympathiques. Cela fait plaisir de vous voir vous engager ainsi à une époque où les mariages se font moins nombreux. Mais je vois une difficulté poindre : un seul d’entre vous est Normand. Il s’agit de vous Monsieur qui êtes né au bord de la Seine, à Rouen, tandis que vous êtes Madame une lointaine ressortissante de la région voisine, née à Melun Vous m’avez avoué hier que vous ne connaissiez notre Ville que depuis 6 ans. Il va donc falloir que nous adoptions une francilienne et que vous fassiez l’effort de faciliter, Monsieur, son intégration au pays de Flaubert et Maupassant… Il n’est pas sans intérêt de connaître, et pourquoi pas d’adopter, les usages de ceux dont on va partager le quotidien. Cela aide à l’amitié. Je l’ai testé puisque, discrètement, je peux vous le confier, pas une goutte de mon sang n’est eurois.
Je souhaite votre assimilation à la côte de veau vallée d’Auge et au Camembert, au « Peut-être bien que oui, peut-être bien que non » qui nous a rendus mondialement célèbres, au bocage et à la Manche, car, au moment où il célèbre un mariage, un maire craint toujours que les nouveaux époux déménagent vers un autre domicile. Je ne peux que vous inviter, tous les deux, à aimer notre commune, à y rester et à vous y enraciner. Nous n’avons même pas besoin de vous dire que vous y êtes les très bienvenus puisque vous êtes ici chez vous.
Ce n’est pas l’heure de faire de la publicité pour Val-de-Reuil, mais puisque je vois autour de nous, parmi vos témoins, des ambassadeurs de Saint-Etienne-du-Rouvray, représentée par un plombier, profession dont il est toujours utile de s’attacher un représentant, de Cléon, qui nous a délégué un coiffeur, métier peut-être moins stratégique, mais ô combien utile un jour comme celui-ci, et de Compiègne, en la personne de la sœur aînée de la mariée, je voudrais rappeler que peu d’endroits en France méritent autant le nom de commune que Val-de-Reuil. On devrait plus souvent se souvenir que ce mot signifie qu’un territoire et une population ont décidé de mettre en commun leurs espoirs et leurs moyens pour être collectivement plus forts que le vivre-ensemble a pour objectif le vivre mieux. C’est ce que nous faisons dans nos rues, dans nos écoles et dans nos associations au nom de la tolérance et de la bienveillance que nous devons à tous les habitants. C’est un équilibre fragile et on voit, si fréquemment hélas, que le populisme, le racisme, l’extrémisme, bref la bêtise, progressent dans notre pays qu’il nous faut agir, à chaque fois que nous le pouvons, avec intelligence et responsabilité pour le faire reculer. Le voile est une telle aubaine pour le Front National. Je vous l’avais indiqué. Sans succès. Force restera à la Loi que j’appliquerai.
Vous êtes deux jeunes citoyens français, je l’ai dit, libres et égaux en droits, mais vous avez un parcours et vous y êtes fidèles. Permettez-moi de saluer, outre vos parents, dans cette pièce avec nous, ceux qui, en ce moment, pensent à vous à Aït Yahia, à Inezgan et à Argana, dans les provinces de Meknès, Taroudant et Agadir, dans ce superbe Maroc qui, coïncidence en votre honneur, pour vous rendre hommage, a dressé un village au pied de la Mairie.
Enfin, laissez-moi vous dire, comme un signe qui vous portera chance, que je reviens, pour mon travail, du plus grand monument dédié à l’amour, le Taj Mahal, qui est aussi un chef d’œuvre de l’architecture musulmane dans un pays, bientôt le plus grand du monde par sa population, une grande puissance dont certains habitants vivent dans une grande pauvreté, où il peut arriver que les gens s’affrontent, hélas, au nom des croyances ou des religions.
Le respect que je vous dois m’amène maintenant à vous rappeler la signification du mariage républicain et à vous dire ce que je dis à tous ceux que je marie chaque samedi.
Ce mariage doit être exactement le même pour tous. C’est, si vous me passez l’expression, le mariage de « tout le monde ». J’agirais de manière strictement identique si je voyais d’autres fiancés devant moi. Je prononcerai les mêmes paroles. Je ferai les mêmes gestes. Vous imaginez ce que donneraient des cérémonies à la carte où, selon le bon vouloir du Maire ou des impétrants, suivant que l’on s’adresse à des chrétiens, à des juifs, à des musulmans, à des non-croyants, on utiliserait certains mots et pas d’autres, où on procéderait de telle façon ou bien de telle autre. Quel désordre ! Quelle honte ! Ce serait très injuste, pas vraiment harmonieux, certainement indigne. Cela créerait des inégalités entre les couples. Les cérémonies n’auraient pas la même valeur, pas la même durée. L’institution du mariage en serait fragilisé. C’est pour cela qu’il est bon de suivre un certain nombre de rites et de coutumes, de les partager, de les transmettre notamment aux plus jeunes puisque je vois que de nombreux enfants nous entourent. C’est notre patrimoine. C’est notre culture. C’est notre héritage. Je m’y emploie avec cette lourde pédagogie qui vous fait sourire et à laquelle, peu à peu, vous prêtez attention.
Mais c’est également un mariage unique parce que ne sont ici que ceux qui vous aiment et vous ont vu grandir. Ils vous regardent et vous entourent de leur affection. C’est pourquoi, voudrait-on faire la même cérémonie, y compris dans quelques minutes, sans quelques secondes qu’on n’y arriverait pas, car vos proches, vos parents ne sont là que pour vous, car cet instant n’existe que par vous. En ce sens, il est unique. Et parce qu’il est unique, il est magique…
C’est aussi une cérémonie publique et évidemment non politique. Je vois au fond de cette salle des mariages quelques émissaires parisiens d’associations compliquées. Ils seraient bien mal inspirés de parler d’islamophobie dans cette ville aux trois mosquées où on se moque de savoir si son voisin appeler Ali ou Alain. Il n’en est pas tant d’aussi sincères dans l’hexagone. Vous pouvez remiser vos portables, cesser de filmer, arrêter d’enregistrer. Vous n’en respecterez que davantage les mariés. Il n’y aura à Val-de-Reuil, au moins tant que j’en serai le premier magistrat, ni humiliation, ni provocation.
Revenons à la signification de notre rassemblement. Il constate le moment où des sentiments privés, qui ne regardent que les deux « promis », se transforment en engagements publics. C’est pourquoi le mariage n’est pas le PACS, étroitement juridique, et qu’il a une dimension morale qui nous dépasse. C’est pourquoi la porte est ouverte et que chacun peut assister à cette cérémonie. C’est pourquoi vous avez choisi des témoins pour attester que vous avez échangé, non pas simplement des alliances, mais vos existences. C’est pourquoi Marianne, cette femme aux cheveux tombant sur les épaules, qui est le symbole de la république française, veille sur nous. C’est pourquoi je ne pourrais pas vous unir si le portrait du Président de la République n’était pas dans la pièce. C’est pourquoi il faut que notre drapeau, celui de la République française, une et indivisible, c’est à dire qui ne reconnait aucune communauté, aucun clan, laïque et sociale, c’est à dire neutre et solidaire, soit visible. C’est pourquoi sur tous les documents, que je vous remettrai dans quelques minutes, sera inscrite notre belle devise, liberté, égalité, notamment entre les femmes et les hommes, fraternité. Ce sont nos valeurs. Elles ne sont pas contestables.
Enfin, cette cérémonie est la marque d’une volonté, la vôtre qu’il faut saluer et admirer. Elle est synonyme de confiance et de fidélité, de solidité et de durée pour une vie qui va vous conduire, dans les bons moments (ils seront très nombreux) et les mauvais (qui ne se produiront pas), très longtemps ensemble. Vous vieillirez. Vous évoluerez. Vous changerez. Comme tous les êtres humains. Mais vous aurez été unis.