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4 OCT 2018

J’ouvrais ce jeudi 4 octobre, au Théâtre de l’Arsenal, à Val-de-Reuil, en présence de nombreux anciens dirigeants africains, chefs d’entreprise, économistes, acteurs associatifs et élus du territoire normand, la 3ème édition des rencontres « Entreprendre avec l’Afrique »

 

Je suis encore trop jeune pour être un sage. Je ne peux donc ouvrir ce colloque, ici au théâtre de l’Arsenal, sans saluer les anciens auquel le respect est dû. Par leur expérience et leur travail, ils ont permis la dynamique de ces journées qu’organisent la communauté d’agglomération Serine-Eure et son président, Bernard Leroy, qui est un peu le chef de la CASE.

D’abord, mon collègue Hubert Zoutu, indissociable de Thérèse son épouse, qui, comme Léopold Sédar Senghor en son temps, est devenu un pont solide et généreux entre notre Normandie et l’Afrique plurimillénaire, grand continent qui a engendré les autres et où l’humanité est née. Je rends hommage à l’acharnement et au dévouement qui ont été les siens pour lancer politiquement, intellectuellement, matériellement ces assises.

Je veux également souhaiter la bienvenue dans notre Ville à un ami, Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des Economistes, qui, ayant le sens du partage et le talent de l’intelligence, partage précisément son intelligence de Aix à Val-de-Reuil, en passant par Singapour pour susciter, de cercles en rencontres, discussions et idées.

Je veux, enfin, dire l’honneur qu’ils font par leur présence dans la plus jeune commune de France à nos illustres invités qui, au sud du Sahara, dans leurs différents pays, ont occupé les fonctions les plus élevées, et aux intervenants français qui ont pris sur leur agenda pour éclairer nos débats, au premier rang desquels, évidemment, ma collègue du conseil régional, Clothilde Eudier, vice-présidente en charge de l’agriculture en général et, plus particulièrement, de rappeler à Hervé Morin qu’il n’y a pas que le cheval dans la vie. C’est dire qu’elle a fort à faire.

Je suis trop jeune, ai-je dit, mais déjà assez vieux pour être assis sous l’arbre où, dans la cité contemporaine dont je suis le maire, le conseil du village se réunit. Alors permettez-moi quelques réflexions générales pour nourrir ce mot d’accueil et l’extirper de son carcan protocolaire.

Première remarque : il serait très artificiel et très européen de prétendre que l’Afrique est une. Tout comme l’Allemagne, l’Italie, la Hongrie, l’Italie, même si elles appartiennent – pour combien de temps encore – à la même union politique et économique, ne sont pas la France, il y a, en fait, de l’océan indien au golfe de Guinée, du Cap à Alger, plusieurs « Afriques » immenses, variées, diverses, par l’économie, l’alphabétisation, les recettes budgétaires, le climat, la pyramide des âges, les ressources, le peuplement. L’Afrique est le continent pluriel par excellence. Alors gardons-nous de toute généralisation.

On entend, en effet, beaucoup de jugements globaux sur l’Afrique. Ils en proposent souvent une vision catastrophiste. Sans doute faudrait-il que ces commentateurs se modèrent, ne serait-ce que parce que beaucoup d’entre eux n’ont jamais traversé le détroit de Gibraltar, bu un verre de bissap ou une tasse de quinquéliba, jamais senti l’air parfumé qui s’engouffre dans l’avion quand la porte de la carlingue s’ouvre à N’Djamena, Yaoundé ou Djibouti, jamais vu les choucas tourner en cercles infinis au-dessus des ports de Libreville, Dakar ou Abidjan. Certes, l’Afrique continue de souffrir de maux préoccupants : pauvreté et inégalités, menaces terroristes et conflits ethniques, régimes discutables et infrastructures insuffisantes… Certes la conjoncture macroéconomique y est depuis quelques mois plus aléatoire en raison du cours erratique des minerais ou de la remontée des niveaux d’endettement des Gouvernements. Mais il est d’autres manières – plus positives – de décrire un continent, riche de ses matières premières et de ses capacités humaines, un continent qui représentera la jeunesse de la terre avec 25% de la population mondiale en 2050 et qui vit, en même temps, des dizaines de transitions numériques, démographiques, écologiques, économiques.

D’un point de vue géopolitique, il ne faut pas confondre les territoires en crise ou en tension qui existent, qui connaissent insécurité ou épidémies – on sait combien le Mali est la victime de Daech, de même qu’on se souvient des ravages qu’a fait, encore récemment, le virus d’Ebola – et des régions entières où cela va mieux, où cela va bien.

D’un point de vue économique et démographique, il faut se méfier des agrégats statistiques. Bien sûr on peut rappeler que deux Africains sur trois n’ont pas accès à l’électricité, mais c’est en train de changer. Mais l’Afrique est en mouvement. Mais 500 millions d’Africains sont connectés par leur portable. Mais le potentiel est considérable. Mais sa croissance progresse à un rythme impressionnant. Mais elle est portée par une classe moyenne en pleine expansion. Tout ce à quoi croit Jean-Louis Borloo sous le nom duquel nos discussions se sont abritées et qui, comme je lui rappelais encore cet été, quand nous nous sommes vus, a beaucoup fait pour Val-de-Reuil.

D’un point de vue démocratique, certes on peut déplorer les soubresauts dictatoriaux qui se produisent régulièrement, mais il y a des alternances comme en Gambie, au Bénin, au Ghana, au Sénégal, des évolutions comme celle incarnée par Georges Weah au Libéria non plus comme footballeur du PSG, mais président à Monrovia.

Mais s’il ne faut pas pas verser dans l’afro-optimisme béat des années 70, car, étant de principe, il était naïf, il ne faut pas non plus sombrer dans un afro pessimisme, exagéré et désespérant, qui serait anachronique au XXIème siècle.

Dans ces conditions, quelle est la méthode pour parler de l’Afrique ? Acceptez du secrétaire général de LVMH qu’il se hasarde à considérer que les Afriques méritent de la haute couture et du sur mesure. Il faut réfléchir, quand on l’évoque, à une approche par zone, par pays, par projet. C’est ce que vous ferez aujourd’hui et demain.

Deuxième remarque : nous avons raison de consacrer notre temps et notre réflexion à l’Afrique, car elle prend une importance de plus en plus grande sur la scène internationale. Le continent africain est le cœur d’enjeux stratégiques essentiels. Il est devenu un acteur à part entière des échanges mondiaux. C’est pourquoi il est activement courtisé par les puissances montantes comme par les États qui l’ont autrefois découpée en empires.

D’ailleurs, si l’Afrique n’en valait pas la peine, tous les pays du monde n’aurait pas aujourd’hui une politique africaine. Or, on voit les dirigeants de l’Inde et du Maroc l’Arabie Saoudite ou du Qatar, du Brésil, de la Turquie ou des USA, se passionner pour sa modernisation, y séjourner, s’en préoccuper. Ce n’est pas toujours par simple bienveillance. S’appuyant sur la diplomatie de l’autoroute, du stade ou de la voie ferrée, la Chine y désormais a un commerce deux fois important que le nôtre. Pas vraiment par philanthropie.

Il faut dire que nous avons compris trop tardivement qu’il nous fallait être symétrique et pas unilatéral, qu’il ne fallait plus prendre en Afrique, mais y entreprendre. Pour parler clair, la France, qui l’a annoncé tant de fois, doit mettre fin au système inefficace et dépassé de la France-Afrique. Mais, comme l’a dit le Président de la République Emmanuel Macron, parfois maladroitement, à Ouagadougou ou, plus récemment, à la conférence des ambassadeurs en aout dernier, elle ne doit pas renoncer à l’amitié avec les pays africains. Continuons, comme nous le faisons à notre échelle ce matin, à entretenir une relation intellectuelle et culturelle singulière, avec cette partie de l’Afrique multiple avec laquelle nous avons le plus en commun : la proximité géographique, l’héritage historique, le métissage des cultures et des peuples, la langue souvent, des liens personnels étroits. Faut-il rappeler, ici où toutes les nationalités du continent sont largement représentées que 10% des Français ont des origines africaines, que 300 000 ressortissants français vivent sur le sol africain et que 75 % des francophones seront Africains en 2050 ? Dans ma commune, tous les pays d’Afrique sont représentés. Vous n’aurez pas l’équivalent de Val-de-Reuil à Pékin…

Troisième remarque : si on consacre à l’Afrique, comme nous ce matin, mieux qu’un regard extérieur, vague et lointain, on s’apercevra que le continent africain n’est plus uniquement le terrain de jeu des puissances anciennes, mais qu’il est le berceau de puissances jeunes et nouvelles : le Nigéria avec 27% du PIB de la zone et 94 milliards de $ d’investissements extérieurs, l’Afrique du Sud avec 20% du PIB de la zone et 136 milliards de $ d’investissements extérieurs, deux pays qui se caractérisent en outre par des forces et un effort militaires importants, l’Éthiopie avec 10% de croissance, le Zimbabwe avec 7,5% de croissance, d’autres États souverains encore qui naissent ou renaissent comme le Maroc. On n’est pas observateur, mais acteur de son propre destin. L’Afrique le sait.

Pour coller plus étroitement à notre sujet, dans un contexte prometteur, mais instable, il est déterminant que l’Afrique parvienne à couvrir ses besoins de proximité en développant massivement son agriculture vivrière, qu’elle enclenche une véritable révolution verte face aux dérèglements climatiques, qu’elle relève le défi agro-alimentaire par une meilleure utilisation des terres arables, par la restauration des sols, par un recours accru à l’irrigation et une bonne gestion de l’eau, par une mécanisation adaptée, par l’emploi de semences améliorées, par le développement de filières prometteuses (coton, oléagineux, cacao, horticulture, pêche…), par l’innovation et les nouvelles technologies. Vous êtes de ces sujets de meilleurs experts que moi.

Vous constaterez au fil des tables rondes que l’Afrique, par elle-même, a déjà accompli de grands progrès en matière de nutrition et de sécurité alimentaire. Mais le développement du secteur agricole nécessite d’importants capitaux. Même s’ils sont encore insuffisants, des financements sont disponibles, notamment à travers l’aide publique et l’épargne d’une vaste diaspora qui se mobilise en faveur de projets concrets. Les entreprises françaises et la coopération décentralisée, avec mon ami Rémy Rioux qui, à la tête de notre agence de développement, le plus utile et le plus beau job au monde, fait un remarquable travail, peuvent certainement apporter, en ce domaine, une collaboration recherchée. Mais il faut bien comprendre que l’Afrique a désormais davantage besoin de partenariats équilibrés et équitables que de bonnes paroles et de conseils.

Dernière remarque : dans notre colloque très pacifique, il faut marteler que, de part et d’autre de la Mer Méditerranée, il n’y aura pas de développement sans sécurité ni de sécurité sans développement. L’essor économique de l’Afrique est donc une priorité absolue pour le monde. Il exige de déraciner les ferments terroristes, de stabiliser les États et de redonner l’espoir à la jeunesse.

Pour y parvenir, il faut avoir – ensemble – une priorité et une constante : la lutte contre le djihadisme. L’expansion du fanatisme islamiste précarise la situation sécuritaire en Afrique, en particulier dans la vaste zone sahélo-saharienne. Des groupes armés s’y sont réfugiés dans des zones désertiques Depuis 20 ans, l’extrémisme religieux violent s’est progressivement répandu en Somalie, au Soudan, au Mali, au Nigéria, au Kenya, en Tunisie, en Libye. Cet islamisme radical prospère dans des régions pauvres et reculées où sévissent le marasme économique, la désespérance sociale, la pression démographique, des tensions interreligieuses ou interethniques. Il embrigade des jeunes déshérités, frustrés et privés de perspectives professionnelles, sociales, éducatives. Il tire profit de tous les trafics (drogue, cigarettes, armes, migrants, otages…) qui prospèrent dans ces territoires sur lesquels le contrôle étatique ne s’exerce que de manière faible. En dénonçant le problème, je dis les solutions.

Ce défi majeur que l’Afrique affronte, concerne aussi directement nos États européens, car les répercussions de cette crise se font sentir chaque jour en Europe. Les arrivées massives de migrants sur les côtes italiennes et espagnoles, après une traversée souvent périlleuse et meurtrière, n’ont parfois pas d’autres raisons.

Heureusement, en matière de sécurité, il faut se féliciter de la montée en puissance et de la crédibilisation des capacités défensives africaines, tant sur le plan national qu’au niveau régional. Sur ce plan, le G5 Sahel revêt un caractère exemplaire avec un état-major qui rassemble un général nigérian, un officier supérieur tchadien et un commandant camerounais. L’Afrique prend, sur ce plan aussi, de plus en plus son destin en mains. L’organisation annuelle du Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique depuis 2014 en est la preuve. Dans ce combat nous sommes alliés.

Alors, pour conclure, quelle méthode notre colloque doit-il prôner pour que l’Afrique et l’Europe relèvent les défis d’intégration, d’urbanisation, de biodiversité, d’éducation, de financement, d’innovation auxquelles elles font face ? Le partenariat, je l’ai dit.  C’est Hubert Védrine qui, en préparant cette intervention avec moi, me l’a affirmé. À condition qu’il repose sur le co-développement et non sur l’hégémonie, sur la confiance mutuelle et non sur la défiance généralisée, sur la responsabilité partagée et non l’arrogance imposée. L’avenir appelle à la cogestion intelligente des flux, des crises, des projets. Ensemble, par le dialogue et la compréhension, nous pouvons faire des choses extraordinaires pour nous et pour la planète. Il est un proverbe africain qui dit cela mieux que moi : « Si tu veux aller vite, marche seul, mais si tu veux aller loin, marchons ensemble ».

© 2011 Marc-Antoine Jamet , Tous droits réservés / Wordpress