7
SEPT
2022
Discours de Marc-Antoine JAMET
Maire et Conseiller Départemental de Val-de-Reuil
Obsèques de Hervé LOFIDI, Champion de France des Lourds-Légers/Ceinture WBC Francophone
6 septembre 2022 à 15h00
Cimetière de Val-de-Reuil
Chers amis, réunis ici si nombreux, il est rare que, revêtu de l’écharpe tricolore, j’aille à un enterrement. Plus exceptionnel encore que, pour y assister, je me rende dans notre cimetière. Ces cérémonies sont celles de la tristesse et du chagrin. Elles appartiennent aux familles. La décence, la dignité, le deuil commandent de respecter l’intimité de ceux qui ont perdu un proche. Leur épreuve est celle de l’absence et de la douleur.
Mais il fallait que je sois là avec vous, aujourd’hui, avec les parents de Hervé Lofidi, avec ses proches et ses amis. Je prends la parole parce que ses frères, Yves et Éric, m’ont demandé de dire quelques mots. Ils n’enlèveront pas la peine. Ils ne feront pas reculer la douleur. Ils ne parviendront pas à vaincre la mort. Ils sont impuissants à faire tout cela. Ils sont vains. Ils sont faibles. Ils sont humains. Or, ce qui nous réunit devant ce cercueil est de l’ordre de l’irrémédiable et de l’indicible. Cet hommage, votre présence, ma voix, ne peuvent donc être davantage que le témoignage du respect et de l’amitié que nous avions, avec l’ensemble de mes collègues du conseil, beaucoup étant présents, pour Hervé et pour son parcours exceptionnel.
Disant cela, je ne suis toujours pas certain que mon discours soit nécessaire, soit utile pour construire la légende de Hervé Lofidi. Il n’est point besoin, me semble-t-il, que je parle pour que son visage nous apparaisse. Le sillon qu’il creusera sur notre Terre, il l’a tracé lui-même. De son vivant. Par les souvenirs qu’il nous a donnés, par la mémoire que nous avons de lui, de ses exploits sportifs, de son exemple. Un grand champion laisse derrière lui une empreinte exceptionnelle. Il était un très grand champion.
Néanmoins, une Ville jeune comme la nôtre, je vous vois très nombreux à avoir moins de trente ans, a besoin de héros. Hervé Lofidi était un de nos héros, un de nos premiers héros, un héros à notre image, un héros qui nous ressemble, un héros qui nous a permis de dessiner l’image de notre cité. C’est pourquoi Val-de-Reuil, à l’instant de sa disparition, doit remercier Hervé Lofidi, lui payer le tribut, comme disent les Anglais, qu’elle lui doit. C’est Homère qui raconta dans l’Illiade comment Achille éleva le tombeau de Patrocle, son ami, son presque frère. Autour de Hervé, nous sommes tous des petits Achille tristes et effrayés par son départ brutal.
Dans notre histoire collective, dans notre imaginaire, Hervé Lofidi était entré par la grande porte, par la force de ses victoires, par la grandeur de ses combats. Tous ici nous admirions le boxeur. Après le basket et le football dans nos clubs, il avait choisi les arts martiaux et la boxe-thaï qu’il avait pratiquée avec une autre figure de notre ville, une autre silhouette connue des Rolivalois, avec Neth. Qui se ressemble s’assemble. C’est à 25 ans que la boxe anglaise, le noble art celui de Georges Carpentier, de Marcel Cerdan, de Jean-Claude Bouttier, celui de Fabrice Benichou, des frères Tiozzo, de Brahim Asloum, celui des Gentlemen du Ring, celui des grands, l’avait séduit et envahi. Il allait désormais vivre et combattre selon les règles du Marquis de Queensberry.
Comme il était un homme exceptionnel, son parcours fût dans cette discipline exceptionnel. Par sa rapidité. Par sa clarté. Par sa qualité. Champion de Normandie après un an seulement, boxeur professionnel en 2016, Champion de France en 2018, classé dans les 15 premiers de la WBC immédiatement après et titulaire de la ceinture WBC francophone. Beaucoup d’entre vous, et je reconnais vos visages, l’ont suivi à Paris, à Amiens, à Levallois-Perret pour le soutenir et l’admirer. Moi aussi. A bon droit, il avait été surnommé « l’artiste ». C’est un titre qu’il méritait parce qu’il était digne et solide dans la défaite, car il en avait connu quelques-unes ce qui ne le rend que plus remarquable et plus humain, mais il était rayonnant, bien que modeste, mesuré et calme dans la victoire. Un grand, un très grand, un très très grand champion, vous dis-je…
Trois mots le caractérisaient : l’élégance, le courage, la solidarité. L’élégance parce que, au punch, il ajoutait du style. Peu de gens ont du punch ou style. C’est souvent alternatif. Lui avait et du punch et du style. Dans la vie comme sur le ring. Du courage, parce que la boxe est une dure école, une vie de sacrifices. Hervé Lofidi ne le niait pas et il citait son père : « c’est celui qui en veut le plus qui va le plus loin ». Dans le monde qui peut être âpre et cruel des sports de combat, tous ceux qui l’entouraient, entraîneurs, arbitres, certains qui l’ont encore visité il y a peu de temps à l’hôpital, partenaires, promoteurs et je songe à Malamine Koné, estimaient Hervé Lofidi. Il est rare d’être apprécié lorsqu’on est un champion. On est aimé, on est admiré, on est adulé… et jalousé. Mais être apprécié, c’est autre chose. Il faut être aussi être considéré et jugé comme un grand homme. Il l’était. La générosité parce que nous sommes beaucoup à nous souvenir de ce repas qu’il avait offert à tous les jeunes qui l’avaient accompagné, de round en round, de salle en salle, et qu’il avait rassemblé autour de lui au jardin des animaux fantastiques pour les remercier. C’était un grand seigneur.
Cependant Hervé Lofidi n’était pas seulement un sportif. Son corps d’athlète était exceptionnel, mais ses muscles étaient dirigés par une âme, par un esprit, par une pensée. Il avait, ce qui n’est pas toujours donné à une seule et même personne, une très grande beauté, je peux le dire sans ambiguïté, un physique qui rappelait celui des statues classiques, mais il avait également une très grande intelligence et une belle sensibilité. Il possédait à la fois le charisme qui faisait qu’on le suivait et le charme qui faisait qu’on demeurait avec lui. Je l’ai éprouvé : tous les deux, nous avions de l’amitié, de l’estime et de la compréhension l’un pour l’autre. Oui, vraiment, j’espère que nous avons partagé ces sentiments. Il était brillant. Il était solaire. Cette dimension explique qu’il était aimé ici, mais aussi à Louviers où il avait fait ses études, à Canteleu où il s’était entraîné, à Rouen où il avait vécu et à Paris. A vrai dire, Hervé Lofidi était aimé partout où il passait. Les éloges funèbres que nous avons lus dans la presse et jusque dans L’Équipe. les réactions qu’ont pu avoir de nombreuses personnalités, en portent la preuve.
Connu et reconnu un peu partout, cet athlète était d’abord et avant tout un enfant de la ville. Il y était arrivé à l’âge d’un an. Certains se souviennent qu’il était le plus petit de sa fratrie, si bien qu’il était encore appelé « Baby » par les siens longtemps après qu’il était déjà adulte. Il avait connu l’école Coluche où il commença sa scolarité. Il avait connu la dalle, la gare, nos gymnases, nos rues. Il était comme beaucoup de jeunes Rolivalois et c’est pour cela que vous avez tenu à lui dire adieu. Parce qu’il était comme nous, parce qu’il était comme vous, il avait gagné le droit, par son exemple et par sa destinée, d’être un modèle pour une génération.
Une part de lui, et c’est ainsi que je voudrais conclure, est moins connue. Elle n’en est pas moins remarquable. Permettez-moi d’en parler. Hervé Lofidi n’était pas un sportif comme on en voit de plus en plus sur les terrains de football professionnels, insensibles à ce qu’il se passe autour d’eux, tournés vers les médias, les réseaux sociaux ou le chèque que leur victoire va leur permettre d’obtenir. Si Hervé Lofidi était un sportif et un homme, je l’ai rappelé, il était aussi un citoyen, engagé pour le respect des droits de tous, quels que soient son parcours, son origine, ses opinions et sa race. Aux dernières élections municipales, c’est ainsi qu’il avait rejoint notre liste pour s’opposer aux tenants du Rassemblement National dont il mesurait la capacité de nuisance et les ravages y compris dans la jeunesse. Il s’était placé en dernière place avec une idée qu’il m’avait confiée : « si les jeunes de la ville veulent que je sois élu, il faudra qu’ils viennent en masse puisque que je suis le dernier. C’est pour cela que je choisis cette place ». Au nom des mêmes valeurs, il avait déploré et dénoncé les tensions imbéciles qui avaient pu agiter Val-de-Reuil à l’automne dernier. Sa voix pour en condamner les meneurs et les profiteurs à ce moment avait été forte. C’était la voix du bon sens, la voix de la modération, la voix d’un homme qui avait plus de sagesse que ce que son âge aurait dû lui donner. Cette voix avait retenti pour alerter chacun du mal qu’il faisait à notre communauté en se comportant n’importe comment. On se bat sur un ring. Pas dans la rue. Alors qu’il il aurait pu penser à lui-même, à sa réussite, Hervé Lofidi pensait à préserver sa Ville et à protéger ceux qui l’entouraient.
Je veux évoquer notre dernière rencontre. Ce n’était pas moi qui étais allé vers lui, mais lui qui était venu vers moi. Fatigué, affaibli, transformé. J’en ai presque honte. Nous nous étions rencontrés en mairie, mais il n’avait pas pu monter au premier étage, dans mon bureau. Ses forces le trahissaient. Il ne pouvait pas monter les escaliers Nous avions dû rester au rez-de-chaussée, à l’état-civil, là où on déclare les naissances et les décès. C’était hélas prémonitoire. Ce jour-là, comme d’habitude, il ne venait pas parler de lui. Il voulait parler des jeunes, des autres. Il souhaitait mener une action de civisme, de prévention, d’incitation au travail comme, m’a-t-il dit, son père le lui avait appris. En l’écoutant me dire qu’il fallait montrer le droit chemin à tous, je me demandais lequel d’entre nous, frappé par la même maladie, par la même souffrance, aurait eu cet altruisme, cette façon désintéressée et sincère de penser aux autres. A la place d’Hervé Lofidi, nous aurions probablement songé à nous-mêmes. Lui, il pensait à nous. Il pressentait sa fin et, pourtant, il regardait l’avenir. C’est une immense leçon.
Nous n’avons eu par la suite qu’un ou deux échanges téléphoniques. C’est Eric, son frère aimant, tout comme Yves, lui aussi son aîné, qui m’a tenu au courant de l’aggravation de l’état de santé de Hervé, jusqu’à cet appel, voici 8 jours, où il m’a appris qu’il était au plus mal, que la fin était proche, qu’il voulait être enterré et pleuré à Val-de-Reuil. Fidélité. Loyauté. Dignité.
Je vous l’ai dit : la mort est toujours cruelle. C’est la vérité. Elle nous prive de ceux que nous aimons. Elle nous laisse désemparés. Il faut penser d’abord au désespoir de la famille de celui qui nous a quittés, à la peine de ses amis. Je pense particulièrement à la petite fille venue avec lui un jour aux vœux de la municipalité. À 34 ans, la mort n’est pas simplement cruelle. Elle est injuste. C’est pourquoi, devant sa tombe, nous avons un devoir collectif, celui de faire que Hervé Lofidi soit immortel. Il ne peut l’être que dans nos yeux, que dans nos cœurs, que dans notre amitié. Alors conjuguons tous nos sentiments cet après-midi pour lui dire : « Adieu Champion, adieu l’artiste, adieu Hervé Lofidi. J’espère que là-haut, sur un grand ring blanc, tu as retrouvé Cassius Clay, Mohamed Ali, et que, ensemble, vous vous entraînez, vous vous entraidez. Adieu ! ».