1
DEC
2016
Monsieur le Maire du Vaudreuil et ancien député « centriste » de la circonscription,
Pour la deuxième année consécutive, sur la scène de la salle polyvalente du Grand Forum, à Louviers, a eu lieu une cérémonie qui m’a paru, à bien des titres, scandaleuse. Il s’agissait, prétendument, de rendre hommage aux apprentis du CFA de Val-de-Reuil. L’intention aurait pu être louable. Elle n’était que prétexte. A quelques mois d’une échéance législative à laquelle il tient à se présenter, puisque son élection municipale n’a été fabriquée que dans ce but, il s’agissait, en fait et une fois encore, de compenser par quelques paillettes l’indolence, l’immobilisme et l’irrésolution que subit la cité drapière. Il fallait voler au secours, comme pour la patinoire accolée à Caséo, comme pour le numérique perpétuellement promis, comme pour les archives intercommunales (pour lesquelles il fallut racheter Cinram), comme pour à peu près tout, d’un maire qui, bien qu’il délègue déjà une large partie de son travail à notre collègue Anne Terlez, ressemble de plus en plus à ce qu’il dénonce si souvent : un assisté.
Vous avez donc rassemblé sous des projecteurs habitués à de meilleurs comédiens une bien fine équipe. Le public ravi d’une telle farce a pu applaudir ce même clan monocolore qu’il faut féliciter et remercier d’avoir permis que M. Bruno Lemaire et son renouveau finissent cinquièmes, derrière Mme Kosciusko-Morizet et avec seulement 2,4% des voix, lors des récentes primaires, pourtant indiscutablement de droite, qui viennent de se tenir : M. Priollaud, donc, qui, comme sa commune et pour cause, n’a jamais rien fait pour l’établissement qu’il assurait vouloir saluer, M. Morin dont je n’ai pas le souvenir qu’une seule délibération de la Région qu’il préside depuis décembre dernier ait apporté, contrairement aux actions fortes, financées et précises que ses deux prédécesseurs, à mon initiative, avaient prises, un concours particulier au CFA de Val-de-Reuil et, vous même, qui, responsable de l’agglomération Seine-Eure, savez, mieux que quiconque, que la formation n’entre absolument pas dans les compétences de cet établissement public intercommunal.
Je trouvais donc déjà que, en « live » la coupe assez pleine. Vous jugerez donc de mon étonnement à la lecture, samedi dernier, de la presse quotidienne régionale, de découvrir, en différé, présentés comme des citations tirées de votre auguste bouche, des propos que je qualifierai par charité d’inexactitudes béantes quant aux conditions dans lesquelles vous avez détourné les Trophées de l’Apprentissage.
Non, contrairement à ce que vous prétendez, ma colère n’était ni inattendue, ni imprévisible. Dans Paris-Normandie, vous avez feint de découvrir ma réaction et, prenant un ton patenôtre, d’en être surpris. Vous étiez pourtant parfaitement informé de ce que je pensais. J’avais déjà eu l’occasion, en effet, de dire au président, M. Lefebvre, comme au directeur, M. Lejeune, de cet établissement, tous les deux vos sponsors et vos proches, combien il était absurde d’organiser cet événement subrepticement dans une ville qui n’était pas la leur et, l’un comme l’autre, manifestement gênés, en avaient convenu, jurant, foi d’animal, qu’on ne les y prendrait plus. Il avait même été entendu, en 2015, que, si cette manifestation avait une suite, en 2016, elle se déroulerait, non plus hors-sol, mais au théâtre de l’Arsenal. Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent…
Non, contrairement à ce que vous prétendez de manière fausse, je vous ai réellement proposé que cette manifestation ait lieu à Val-de-Reuil. Soutenir le contraire est le signe inquiétant d’une courte amnésie. Toujours attentif à mes propos, les paroles que j’ai prononcées l’année passée ne vous ont pas échappées. J’indiquais clairement que nous aurions plaisir, à 800 mètres des bâtiments du CFA, dans un théâtre qui venait de se construire et avait été inauguré, à accueillir de façon plus appropriée une deuxième édition de ce palmarès de l’artisanat. Un contexte moins électoral que la compétition pour la gouvernance de la Normandie devait permettre, je m’en disais alors certain, de réparer un premier dépaysement. Je vous prie de bien vouloir me pardonner ma naïveté.
Non, contrairement à ce que vous prétendez, il ne m’aurait pas été « facile d’organiser dans ma commune » une semblable cérémonie « depuis quinze ans » car il existait jusqu’à ce que vous la captiez, puis la fassiez disparaître une soirée similaire légitimement organisée par la chambre des métiers, cette fois-ci à l’échelle du territoire de l’agglomération Seine-Eure tout entier qui honorait les apprentis, tous les apprentis, pas simplement ceux du CFA, et à laquelle j’ai participé, sans interruption, à chaque édition, avec fierté, mais à laquelle je ne vous ai, en revanche, jamais vu. Je l’avoue : il ne me serait pas venu à l’esprit de piller ou de pirater un événement organisé par des représentants de la société civile, par des professionnels.
Non, contrairement à ce que vous prétendez de manière assez désagréable et cavalière, je n’étais pas « à Tahiti » pendant que vous remettiez aux uns et aux autres prix et récompenses, car, si je ne sais comment vous faisiez lorsque vous n’étiez pas retraité, je limite toujours, quant à moi, mes déplacements professionnels au strict minimum afin de ne pas rester trop longtemps loin des administrés qui me font confiance et parce que je suis peu enclin à me prélasser aux frais de la princesse. Le raccourci auquel vous vous êtes laissé aller suggérait que je voyageais pour mon bon plaisir. Il se trouve, vous ne pouviez l’ignorer, que je présidais un important Congrès de la Cosmetic Valley. Je remarque qu’il vous est arrivé d’utiliser des mots moins agressifs et plus élogieux pour évoquer un pôle de compétitivité auquel vous avez adhéré et qui ne vous a pas mal traité – c’est le moins que l’on puisse dire – bien que sur 40 membres du conseil d’administration, vous soyez le seul, curieusement, étroitement, à avoir voté contre ma désignation à sa tête. Rentré le matin même, j’ai préféré rester à travailler en mairie. Ma place n’était pas avec vous. Derrière l’écran de fumée de ce rendez-vous débonnaire, devant un quarteron de notables amis, vous ne teniez rien d’autre qu’une réunion politique. Je vous l’ai dit vertement et par l’entremise des réseaux sociaux. J’aurais pu vous le dire plus fermement sur place. Il ne m’a pas semblé opportun de prendre, à votre imitation, des jeunes adultes en otages pour la simple raison qu’il y a des gens qui paraissent polis et font preuve de la plus grande brutalité, qu’il y a des manières de faire qui n’en sont pas et que ce genre de manœuvres politiciennes a une fâcheuse tendance à se reproduire depuis quelques temps sur notre territoire. Twitter a été mon ambassadeur en 140 signes de mécontentement. Rassurez moi : vous n’en êtes pas bouleversé ?
Non, contrairement à ce que vous prétendez, ma première adjointe, Catherine Duvallet, si elle était présente dans la salle, n’a que peu apprécié ces palinodies centristes qui nous faisaient renouer avec l’époque bénie des Jean Lecanuet et des Alain Poher. Elle s’était rendue à ce spectacle la mort dans l’âme, me rappelant, avant tout professeur, qu’elle était persuadée que tous ces garçons et ses filles ignoraient le piège dans lequel ils tombaient. Elle en est revenue ulcérée et indignée. La réalité avait été pire que ce qu’elle avait imaginé.
Non, contrairement à ce que vous prétendez, je n’ai jamais donné mon accord à la forme ou à la rédaction du carton d’invitation qui conviait apprentis, familles, tuteurs et enseignants, à cette soirée. A aucun moment, je n’ai d’ailleurs été consulté ou associé à son élaboration. Ceci est d’ailleurs devenu pratique courante (et méprisante) à l’Agglomération. Il y est désormais habituel d’une part d’inscrire (ou pas) les noms de certains élus sur les « bristols », d’autre part de ne pas les leur soumettre. Le bureau précédent, sous les mandatures de Franck Martin, avait des défauts, mais, par l’entremise de Patrice Yung, prenait toujours l’attache de ceux dont il revendiquait, fût-ce par simple convenance ou obligation, le parrainage. Certains usages voudraient également, lorsqu’on utilise le logo d’une commune et le nom de son Maire, notamment sur un document aux fins de communiquer, que l’on songe à en obtenir l’autorisation. Il n’est pas jusqu’au protocole, art d’accommoder les gestes devenu instrument républicain, repère objectif s’il en est pour des citoyens parfois désorientés, qui ne soit foulé aux pieds, travesti, manipulé, et on peut se trouver, sous votre empire, élu de la commune siège de l’institution censée être fêtée sans pour autant éviter les profondeurs d’un classement typographique qui ne met en valeur qu’une bande de copains. On dit m’avoir associé ? Pas un mot en ce sens ne m’est parvenu. Pas une proposition, pas une date ne m’a été communiquée. Pas un coup de téléphone pour me prévenir ou m’interroger. Pas une réunion de préparation à laquelle nous aurions pu participer. Si on voulait tenir la Ville de Val-de-Reuil éloignée de cette manifestation, on ne s’y serait pas pris autrement. Tout s’est fait loin de la lumière. Sous la table. Clandestinement. Certains de vos amis constatent que, respirant l’encens intercommunal, vous ne vous apercevez même plus des déformations du comportement qui accompagnent, si on n’y prend garde, l’exercice, sans la moindre responsabilité politique à assumer, sans aucun scrutin populaire à considérer, d’un pouvoir cossu et confortable. On sourirait donc en vous voyant déclarer, dans une délicieuse confusion, à deux secondes et trois lignes d’intervalle que j’étais à la fois « invité » et « invitant » à cette surprise-party(sane) en vertu d’un seul et même carton dont vous ne savez plus très bien si j’étais, avec vous, l’expéditeur ou, malgré vous, le destinataire. Mais on sait ce que l’on récolte quand on sème ce mauvais vent pour la démocratie.
Je regrette à votre âge et au mien de devoir vous adresser cette mise-au-point, mais – toujours voyageant – dormir et manger dans l’Eurostar qui me ramenait ce soir de Londres, ne me suffisait pas. Il fallait que je vous dise quelques vérités. Je préférerais m’entendre avec un voisin, qui n’a pas à se plaindre de ce que j’ai fait à sa frontière, que de me demander à quelles mesquineries je serai demain, par lui, confronté parce que 2017 l’y oblige. En proximité.
Marc-Antoine JAMET
Maire de Val-de-Reuil
24
NOV
2016
Discours de M. Marc-Antoine JAMET,
Président du Pôle de Compétitivité Cosmetic Valley
Ouverture du 5ème Congres « Cosmetopée »
et des Premières Rencontres Internationales Cosmétiques du Pacifique
Papeete/Polynésie Française – Mardi 22 novembre 2016
Monsieur le Président du Pays, cher Edouard Fritch,
Monsieur le Ministre de la Santé du Gouvernement de Polynésie,
Monsieur le Président de l’Université qui nous avez reçus avec tant d’amabilité,
Mesdames et Messieurs, chers collègues,
Probablement sans s’en apercevoir, ce Congrès vient de compter un premier acquis. Il est généralement difficile lorsque la Cosmetic Valley se réunit de départager Orléans, Chartres et Tours qui toutes veulent l’accueillir et déploient aussitôt leurs charmes – nombreux – pour attirer nos congrès, colloques et séminaires. L’extension de notre pôle de compétitivité à la Normandie et à l’Ile-de-France, son bassin de vie, de recherche, d’investissement et d’emploi n’a rien arrangé, chacune des ces régions, comme le Centre/Val-de-Loire, disposant de quelques atouts, de quelques arguments pour nous attirer. Je n’ose imaginer comment cornélien sera notre choix lorsque le pôle PASS, qui peut s’appuyer sur ces joyaux que sont Nice et Marseille, Avignon, Cannes ou Saint-Tropez, entre autres, nous aura rejoints.
Grâce à tous nos partenaires de Tahiti, nous venons donc de résoudre la question de la façon la plus élégante qui soit et je propose qu’à l’instar du siège tahitien de ce 5ème congrès « Cosmétopée », par ailleurs Premières Rencontres Cosmétiques Internationales du Pacifique, tous nos travaux n’aient plus désormais pour cadre itinérant que les archipels des Tuamotu, des Gambier, des Australes ou des Marquises.
Cet espoir, qu’avaient déjà caressé Brel ou Gauguin et que nous ne concrétiserons peut-être pas, a un fondement évident : celui de l’amitié. Nous avons été ici magnifiquement accueillis. Je voudrais en remercier très vivement, très chaleureusement, le Gouvernement de Polynésie Française et vous-même, Monsieur le Président, qui nous faites l’honneur d’introduire nos travaux. Je voudrais dire également ma reconnaissance à l’université de ce territoire et à son président, archéologue des civilisations polynésiennes qui nous en a décrit la naissance et les beautés, avec pédagogie, dans son merveilleux bureau qui, au-delà d’un Faré que ses pairs de métropole moins bien lotis doivent lui envier, domine la mer et, au loin, la merveilleuse île de Mooréa. J’aurai garde d’oublier de dire ma gratitude à nos partenaires et, au premier rang d’entre eux, le cluster Tahiti Fa’ohtu.
Il est des destinations, dont on dit monts et merveilles pour finalement être déçu quand on les découvre. La Polynésie n’a rien à craindre. Outre le caractère exceptionnel de ses paysages, ainsi que me l’affirmait avec force mon ami le Haut-Commissaire de la France René Bidal, elle a pour elle l’intelligence, la beauté, la jeunesse de son peuple. Son dynamisme et sa gentillesse ne peuvent que susciter l’admiration. Il est des colliers de fleurs réels que l’on reçoit quand, après 23 heures de vol, l’avion de Paris se pose sur l’aéroport de Fa’a, mais il en est aussi de virtuels, de scientifiques, d’intellectuels dont le parfum est largement aussi enivrant. Nous les avons respirés, depuis notre arrivée, avec les professeurs Phila Raharivelomanana et Chantal Pichon. Je voulais les citer pour leur rendre hommage.
Mais revenons à notre Congrès. Parce qu’il paraissait s’occuper de vieilles recettes, je n’ose dire de recettes de « bonnes femmes », il a pu d’abord faire sourire. Mais chacun a pu constater que s’il était aux antipodes géographiques, il se tenait également aux antipodes de la banalité, de la médiocrité, de l’anecdotique. Il est au contraire crédible, nécessaire et légitime.
Je constate, en effet, qu’il est d’abord universel puisque ses origines, ses causes et ses conséquences se trouvent aussi bien au Togo ou au Japon, qu’en Colombie ou au Niger, en Chine ou au Québec, en Corée et en Corse, au Japon et dans le Pacifique. Sur chacun de ces points du globe et sur beaucoup d’autres, à partir, d’ingrédients naturels, on a su protéger, préserver, développer un capital santé et un capital bien-être sans besoin de molécules artificielles.
Je constate, ensuite, qu’il est mobilisateur puisque vous êtes originaires de tous les continents, d’Asie, d’Europe, d’Afrique, d’Océanie, d’Amérique. Je salue notamment ma collègue canadienne qui, après avoir récemment incorporé sa société à l’écosystème Sephora, fleuron de LVMH, est venue de Toronto. Vous avez fait des milliers de kilomètres pour représenter tous les segments de la recherche qu’elle soit publique ou privée, académique ou industrielle, fondamentale ou appliquée. C’est un succès dont notre pôle est fier. Il est bien de se faire fédérateur de ce qui, ailleurs, est si souvent opposé, fragmenté, divisé ! Pour un peu, nous pourrions pousser un Haka de triomphe, comme l’ont fait ces jeunes marquisiens en ouverture de nos discussions, mais je crains que notre musculature soit moins épanouie et nos tatouages moins originaux que ceux de ces guerriers.
Je constate enfin qu’il rejoint, par ses thèmes d’intervention, toutes les préoccupations de notre filière : innovation des produits, protection des consommateurs, valorisation de la recherche, respect de l’environnement. Plus que la taille de notre marché ou le volume de notre production, ce sont ces points d’excellence qui permettent au Made in France de faire la course en tête, d’être leader mondial et à la cosmétique française d’être productrice de croissance, d’emploi, d’excédent commercial.
Prenons un peu de hauteur, prenons un peu de champ. La France du Pacifique y invite naturellement. La cosmétopée se résume d’une formule. Elle est le bel avenir du passé. Elle est le futur de la tradition. Elle est un trait d’union qui, à la fois, nous fait payer un tribut mérité au savoir de nos ancêtres qui ont trouvé ces herbes patrimoniales, défini leurs bienfaits, imaginé leur assemblage et satisfaire un client, une consommatrice, moderne, actuelle qui exige, désormais, pour ses produits de beauté de l’authenticité, qui revendique de bénéficier d’un traitement individuel, qui veut allier à un achat cosmétique une expérience humaine, la connaissance d’une civilisation, l’initiation à une culture du bien-être. De ce point de vue, ce que nous apporte le Pacifique, ses rites et ses pratiques, est si vaste, si riche, si pertinent. Alors que chacun sait maintenant, grâce aux travaux des historiens, ce que devaient être la puanteur et le manque d’hygiène dont souffrait la Cour du Roi Louis XIV, nul n’ignore que, ici, se laver, entretenir sa peau et ses cheveux, avoir des dents blanches et une haleine fraiche, étaient les éléments normaux d’une routine quotidienne.
Mais, au-delà de leur utilité pour le consommateur, il est dans notre démarche autour des plantes ancestrales, une sincérité qui me plaît. Hier, un très jeune chercheur, rougissant, débutant et timide, notre directeur général, Jean-Luc Ansel, obtenait, devant son épouse que je salue, un doctorat mi-chimique, mi-botanique, sur « Les usages de la cosmétopée à travers les ligneux de Polynésie ». Au-delà des félicitations que le Jury lui a accordées pour son immense travail et, comme en toute chose dont il se saisit, sa passion communicative, en les assortissant de la mention très honorable, il a posé une pierre fondatrice qui dépasse le périmètre de la cosmétique. Il a construit, lui l’ingénieur, les premières marches d’un immense escalier. Il a donné un socle théorique et universitaire à un concept infini et généreux.
La cosmétopée, ce n’est pas un élément supplémentaire de la marchandisation du monde. Il ne s’agit pas d’extraire pour l’épuiser ce qui fait la richesse d’une île d’une contrée, d’un pays. Elle veut au contraire participer à la défense de la biodiversité, s’inscrire dans un développement local, durable, soutenable, fidèle au protocole de Nagoya. Elle est préservation et transmission des savoirs et des connaissances d’une génération à l’autre, passation que la simple oralité ne pouvait plus garantir. C’est une force d’invention et de réflexion, un minéral enfoui, un gisement inconnu qu’il ne s’agit pas d’appauvrir, mais de développer avec les populations qui en sont les détentrices légitimes. Par chance, ici, dans ce monde de volcans et de lagons, dans ces îles encore inaccessibles, la nature ressemble encore à ce qu’elle fût au premier matin du monde. C’est un patrimoine de l’humanité. Il est sacré.
Avec cette feuille de route, la cosmétopée ne peut plus rester le parent pauvre de la pharmacopée, tout comme la cosmétique a gagné ses lettres de noblesse par rapport à la pharmacie. Qu’on se rende compte de ses possibilités encore non recensées. Sur un simple échantillon de 28 personnes aux Iles Marquises, les plus éloignées des continents, une enquête d’ethno-botanique a permis de dresser une première liste de plus de 500 recettes couvrant aussi bien la protection de la peau, l’hygiène intime, le soin du cheveu, la fraicheur de l’haleine, le parfum, voire la cicatrisation par le Tamanu.
Cet inventaire, que Cook et Bougainville avaient déjà commencé, est indispensable. Il nous fait constituer ce grand herbier mondial. Nommer c’est connaître. Connaitre c’est respecter. Demain ne sera pas que digital, demain sera fondamental. Je ne veux pas m’éloigner de notre grand sujet et le politiser de manière inopportune, mais il y a, face aux populismes et aux obscurantismes qui agitent le monde, un besoin de repères et de valeurs. C’est peut-être un des effets inattendus de nos travaux que de participer à remettre notre société dans le sens de la marche, dans le sens du progrès. Savoir où l’on va parce que l’on sait d’où l’on vient, ce pourrait être l’intitulé de ce congrès. Vous avez des outils à imaginer, des étapes à fixer, des coopérations à établir, des résultats concrets à obtenir. Nous pouvons créer demain une Cosmetic Island, non pas filiale, mais petite sœur de la Cosmetic Valley. Nous avons de la belle ouvrage à abattre. Nous y parviendrons grâce à ces trois jours de débats et d’échanges. Bons travaux.
23
NOV
2016
Discours de M. Marc-Antoine JAMET
Président de la Cosmetic Valley
Ouverture de la 14ème édition du Congrès Réglementaire Parfums et Cosmétiques à Chartres
16 novembre 2016 – 9h30
Chers amis,
Un congrès commence toujours par des remerciements et je voudrais ne pas déroger à la règle, même si j’aperçois sur vos bureaux un inquiétant formulaire d’évaluation des orateurs qui invite à la concision. Je crains que votre jugement sur cet item ne me soit pas favorable…
Notre reconnaissance va évidemment, en premier lieu, vers la Ville de Chartres et son député-maire, notre ami Jean-Pierre Gorges. Ils ne nous ont jamais ménagé leur aide. J’y associe naturellement Loïc Bréhu qui vient d’ouvrir cette journée et que, avec Chartres Métropole l’agglomération, nous trouvons toujours à nos côtés, pour nous aider concrètement et nous soutenir matériellement. Qu’il s’agisse du nouveau siège de notre pôle de compétitivité ou de la réalisation d’un incubateur, la fabrique de la beauté, qui accueillera nos start-up, ces collectivités sont plus que des partenaires pour édifier notre cathédrale. J’aurais garde d’oublier François Bonneau et la région Centre qu’il préside, ni le sénateur Albéric de Montgolfier qui veille aux destinées du département d’Eure-et-Loir. Ils sont toujours bienveillants, à notre écoute et se comportent en alliés.
Mais c’est surtout vers vous qui avez l’amabilité très matinale de m’écouter que va ma gratitude, vous qui accompagnez fidèlement et activement nos travaux. Un premier recensement – qui n’ayant pas été confié à un institut de sondage doit être juste – établit que vous vous êtes inscrits pour y participer encore plus nombreux que l’année dernière. On m’assure que vous êtes désormais 550 et venez de 40 pays. Nous allons devoir repousser les murs. La planète cosmétique est à Chartres ! Vous représentez des entreprises, elles-aussi plus nombreuses, mais surtout plus diversifiées. Il n’est pas jusqu’à votre profil qui a évolué. Naguère, c’étaient leurs dirigeants, implicitement polyvalents, qui suivaient directement nos travaux. Témoignant de la création de services ou de directions « corporate affairs » dans de nombreuses sociétés, de la priorité donnée à cet aspect du business, ce sont aujourd’hui des spécialistes, plus jeunes, souvent des femmes, qui se consacrent entièrement à ces sujets ardus. Vous êtes donc les ambassadeurs et les ambassadrices d’un tissu industriel qui n’a rien à envier à celui de l’automobile allemande et qu’on devrait saluer davantage. Mais, et on peut le regretter, ce genre de reconnaissance n’est pas fréquente en France. Contrairement à une réputation bien établie, nous pratiquons peu l’autosatisfaction. Vous êtes pourtant ceux qui donnez de la crédibilité et de la légitimité à notre pôle de compétitivité. Sans vous la Cosmetic Valley n’existerait pas ! Par votre affluence et votre influence, vous êtes le baromètre exact de l’intérêt de cette journée et de la qualité de notre travail pour l’organiser.
Je veux remercier aussi nos partenaires, la FEBEA et son président Patrick O’Quin, la société française de Cosmétologie, conduite par Patrick Bellon, Cosmetic Europe et son président Loïc Armand. L’intérêt de notre profession et de notre filière est de s’unir, pas de se diviser. Je regretterai fortement qu’après des années de coopération utile, fructueuse, nous finissions par nous concurrencer en organisant des événements rivaux. J’entends parfois la rumeur qu’il s’en préparerait. J’invite chacun au calme et à la responsabilité. Ne nous marchons pas sur les pieds. Ne dupliquons pas nos initiatives.
Je veux saluer notre comité scientifique, dont l’investissement dans l’actualité fait le renouvellement de notre programme et nous permet d’être à la pointe de l’information, de vous donner ce que vous recherchez. Vous comprendrez qu’en parfaite confraternité je destine un coup de chapeau particulier à Anne Laissus-Leclerc qui a bien voulu vérifier que, moi qui ne suis que peu savant, je ne disais pas n’importe quoi dans cette intervention.
Je veux remercier surtout chacun des orateurs. Ils vont nous offrir leur temps, leur énergie et leur talent, singulièrement ceux de la commission européenne dont la présence est très appréciée et très attendue, ceux du ministère de la santé ou de l’agence nationale du médicament qui nous font l’honneur d’être là, ceux des grands groupes et des laboratoires, des PME et des sous-traitants, tous complémentaires dans un pôle qui compte 8000 chercheurs. Il est des transferts de technologie. Ils sont décisifs. Il est des transferts de connaissances. Ils sont indispensables. Mutualisons le savoir. Cela ne pourra que favoriser les audaces et les réussites individuelles.
Je veux dire ma reconnaissance enfin aux équipes de la Cosmetic Valley, resserrées, compétentes, dévouées, qui parviennent, de mois en mois, à faire vivre le pôle dans son quotidien, rencontres internationales, projets scientifiques, actions de formation, veille Internet, et, dans le même temps, à créer successivement, en quelques jours seulement, des événements aussi divers que connexion R&D à Orléans, notre salon cosmetic 360 qui fût un immense succès inauguré au Carrousel du Louvre par Xavier Niel et le ministre de l’Industrie Christophe Sirrugue, cosmetomics à Cergy et le synchrotron Soleil, Olfaction avec l’Isipca dans quelques jours, le Congrès Cosmétopée à la fin de cette semaine en Polynésie. Ils sont sur tous les fronts. Ils ne renoncent jamais. Ils sont excellents. Cela d’autant plus que notre équipe est provisoirement orpheline de son directeur-fondateur, Jean-Luc Ansel, parti avec courage, non pas conquérir la toison, mais soutenir une thèse à un âge où on est davantage professeur qu’étudiant. Il est vrai que pour adoucir les efforts des années de travail qu’il aura consacrées à cette somme sur « la cosmétopée à travers les ligneux de Polynésie », il a choisi pour réunir son jury une destination monacale, austère, difficile, puisqu’il s’agit de Tahiti. J’en serai avec fierté.
Un public, une organisation, des orateurs, c’est cela qui fait de ce congrès un moment unique et essentiel. Unique, essentiel, mais aussi nécessaire. Sans doute davantage encore depuis cette année où tout a été bouleversé.
La maîtrise et la connaissance des réglementations nationale, européenne, internationale seront, en effet, pour la filière cosmétique des enjeux de plus en plus cruciaux à l’avenir. On voit bien, en Asie notamment, que la norme est un instrument du soft power, un outil dans la panoplie commerciale, une arme de la guerre économique et qu’elle est utilisée tour à tour pour faciliter ou empêcher. On sent que le monde est en train d’évoluer. On voit ressurgir des frontières, du protectionnisme, en Amérique avec l’élection de Donald Trump, en Angleterre avec le succès du referendum sur le Brexit. On comprend que les frontières, demain, ne seront pas seulement des murs physiques, mais aussi des barrières intellectuelles, juridiques et scientifiques. Les douaniers seront les normes. Il faudra des visas, des passeports.
Enfin on ne peut pas proclamer en permanence que le « made in France » nous permet de faire la course en tête, d’être le leader mondial de notre secteur, alors que nous n’en sommes ni le plus gros marché, ni le plus gros producteur mondial, cela grâce à la parfaite sécurité de nos produits, à leur respect total de l’environnement, à l’innovation permanente de nos maisons, sans reconnaître que ce tryptique ne tient debout, sur nos marchés et à l’international que parce qu’il a été édifié en symbiose avec la production réglementaire. C’est une manière pour moi de saluer les étudiants du Master spécialisé Réglementation Internationale Parfums et Cosmétiques, issus de l’école d’ingénieurs bio industrie que nous fêterons ce soir. Ce sont des explorateurs et des précurseurs. Ils ont choisi une voie d’avenir.
Alors, puisque la règle est devenue le nerf de la guerre, il faut s’en emparer et coopérer avec ceux qui la produisent. Ce que nous faisons, ce que vous faites ici, est primordial. Il faut que nous ayons des règles pro-actives de self régulation comme nous avons su le faire ensemble pour les microbilles dans les produits rincés. Il faut que nous poursuivions, à Paris et à Bruxelles le dialogue avec les autorités publiques, car il peut aboutir à des victoires du bon sens comme l’arrêt équilibré du 16 septembre 2016 de la Cour de Justice de l’Union Européenne sur les expérimentations animales le prouve ou bien encore le rapport de la commission européenne du 16 septembre dernier sur les allégations et la publicité ou encore l’interprétation récente que fait Bruxelles du risque par rapport au danger pour les CMR, même si tout, sur ce dernier point, ne paraît pas encore définitivement fixé.
Les débuts de REACH ont été marqués, soyons francs, par une confrontation entre nos entreprises et la commission européenne. Nous apprenions à nous connaître. Il a fallu dépasser ce temps où nous nous regardions en chiens de faïence et ne plus songer qu’à la coopération, au dialogue, à la négociation. C’est notre volonté. Nous la mettons en œuvre. J’espère que cette disposition d’esprit est aussi celle de Bruxelles. Une avancée sur le dossier de la dénaturation de l’alcool dans les parfums, par exemple, en serait un signe apprécié. Mais il serait trop facile de n’interpeler que les autorités communautaires. En France, également, certains projets réglementaires nous inquiètent. Un arrêté est en instance de signature sur le bureau de M. Sapin et de Mme Touraine. Il a trait à la toxicovigilance. C’est un fort beau combat. Il reviendrait cependant s’il était mené dans les termes du texte que je cite à rendre publiques toutes nos formulations en ingrédients et en proportions pour le plus grand bonheur des fraudeurs et des voleurs. « Contrefacteurs de tous les pays, réjouissez-vous » n’est pas un slogan qu’une administration raisonnable devrait favoriser.
Vous le voyez. Il reste bien sûr des questions qui n’ont pas été encore tranchées ou abordées avec le calme et la lucidité nécessaires. Comment le pourraient elles être toutes ? Je pense au dossier des perturbateurs endocriniens où nous voulons une sécurité totale, mais pas de faux procès. Demeurent également sur la table le dossier relatif à l’échange d’informations sur le packaging ou la question du monde digital qui ne peut être une jungle sans foi ni loi. Il reste donc de l’ouvrage à abattre.
Tant mieux. Il faut que nos réflexions soient abondantes, foisonnantes, pour qu’elles continuent de servir de référence à l’échelle mondiale et tant mieux si les administrations étrangères pratiquent pour s’en inspirer le « copier-coller » de notre propre réglementation.
Voilà pourquoi vous vous êtes levés tôt. Voilà pourquoi vous avez affronté la grisaille et l’humidité que nous offrait la Beauce en cette fin d’automne. Voilà pourquoi vous êtes enfermés dans ce bâtiment sans fenêtre garant de la confidentialité et de l’intensité de vos débats. Voilà pourquoi je vous félicite, vous remercie et vous souhaite deux journées de bons et utiles travaux. Merci.
13
NOV
2016
Cher(e)s ami(e)s,
Le cycle de la vie nationale et municipale nous réunit, de nouveau, autour de ce monument à la mémoire et à la paix. Au fil de l’année, nous nous y retrouvons régulièrement. Mais il est deux temps forts sur cet agenda tricolore : la fête nationale et l’anniversaire de l’armistice signé dans un wagon à Rethondes pour mettre fin à la première guerre mondiale. Le 14 juillet est une apothéose, celle de la République, et le 11 novembre est une commémoration, celle du sacrifice de ceux qui sont morts pour la France et, pour nous désormais, de tous ceux qui ont donné leur vie pour la paix et l’humanité.
La première de des journées nous réunit l’été sous un ciel généralement bleu que viennent traverser les nuages des congés qui arrivent. La seconde se déroule au cœur de l’automne par un temps maussade, incertain, souvent pluvieux. Une alternance de gaité et de tristesse, comme si les éléments comprenaient ce qui nous rassemble. Vous êtes ici, de plus en plus nombreux et j’en suis très heureux, à participer fidèlement à chacun de ces rendez-vous patriotiques. Vous avez raison. Nos cérémonies sont comme nos idéaux. Ils nous dépassent. Il faut y être attachés vertueusement, radicalement, viscéralement par nos convictions et ne pas y assister mus par telle ou telle ambition, en fonction de telle ou telle situation, élective par exemple, ou selon telle ou telle opinion. Il faut en être qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il fasse beau. « La Révolution est un bloc » disait Clemenceau. La République aussi ! De ce point de vue, il est, les années passant, des absences institutionnelles ou politiques qui, parce que répétées, deviennent de plus en plus incompréhensibles et impardonnables.
Bien sûr, il ne faut pas oublier la signification première de cette cérémonie. C’est l’occasion en portant un bleuet au revers d’un vêtement de se souvenir, même fugitivement, des millions de victimes, civiles et militaires, des guerres du XXème siècle, guerres mondiales ou coloniales, des batailles de la Somme et de Verdun, dont nous vivons le centenaire, des drames d’Auschwitz et du courage d’Omaha Beach, des massacres de Sétif et d’Oran, des combats de Bizerte ou de Dien Bien Phu. Ces femmes et ces hommes, ces vieillards, ces enfants sacrifiés, ne sont pas si loin. Vainqueurs ou vaincus, issus de tous les camps, quel que soit leur uniforme, ce sont nos parents et nos grands-parents, nos frères humains. Ils méritent notre temps, cette heure brève, qui, ce matin, nous rassemble. L’oubli est une seconde mort.
C’est pourquoi, je suis heureux de voir autant de visages familiers et de visages nouveaux, de représentants de corps constitués, police municipale, pompiers du département, police nationale, gendarmes, ingénieurs de l’armement du bassin d’essai des carènes, détachement de l’EPIDE et cadres du centre de détention, autant de services de l’Etat que je salue, d’élus de la municipalité, même si on peut regretter, ainsi qu’à l’habitude, de ne pas y voir dissidents et opposants, d’enfants de nos écoles et de nos collèges, de nos centres de loisirs – ils nous diront un mot qu’ils ont composé ou appris, avant que la chorale du conservatoire municipal du musique et de danse nous propose une Marseillaise à trois voix -, anciens combattants avec, parmi eux, le jeune Valentin, porte-drapeau d’un jour, symbole d’une transmission que l’Histoire exige. Ce rassemblement unit bien le proche et le lointain, l’avenir et le passé, les morts et les vivants.
Parmi eux, deux ombres se sont glissées, deux silhouettes disparues et pourtant familières, deux hommes qui se connaissaient, indissociables de ce monument et présents dans notre mémoire. Ils ont été des collègues et des camarades, des frères et des amis. Ces deux hommes avaient fait la guerre. Vraiment. On leur attribuait des hauts faits que médailles et citations venaient rappeler. Pourtant, ils n’en parlaient jamais. Ils étaient contre la violence. Précisément, parce qu’ils l’avaient rencontrée et, lorsqu’il l’avait fallu, exercée.
Bernard Cancalon nous a quittés brutalement au milieu de l’été. Son travail manque à la ville et son amitié, son soutien et sa loyauté me manquent personnellement. Nous sentons sa présence et elle surgit soudainement quand on ne s’y attend pas. Hier, les dirigeants des nouveaux métiers de la Poste s’étonnaient qu’il ne soit pas, avec notre nouvelle directrice générale des services, Nadia Basso, et moi-même, pour travailler dans mon bureau à ces dossiers de solidarité qui comptaient tant pour lui. Ils ignoraient son décès brutal. Ils en exprimaient involontairement la soudaineté et la cruauté. Un silence a suivi, fait de gêne et de tristesse, et nous l’avons vu un instant se pencher vers nous, comme s’il nous disait de continuer sur son chemin, qu’il était là, que nous faisions ce qu’il souhaitait. Son épouse et plusieurs de ses enfants ont choisi d’assister à cette cérémonie à laquelle Bernard croyait et tenait. Nous les embrassons.
Je voudrais citer maintenant le nom d’Antonio Antonioli. Cet homme de bien, lumineux et généreux, nous a quittés voici dix ans. Il était notre collègue et, lui aussi, ancien militaire, pro patria nostra toujours légionnaire. Il livrait tous les jours des batailles contre la pauvreté et la précarité, des combats pour la ville et ses habitants. Lui aussi avait un caractère qui, au quotidien, réconfortait ceux qui l’approchaient : volontaire, engagé, optimiste, positif et amical. Même malade, même affaibli, il continuait de mettre ce qui lui restait d’énergie, de force, de vie, au service de tous et, si souvent, de son Maire. Dans la force de l’âge, quand tout aurait pu l’amener vers le conservatisme, il défendait les valeurs de l’espoir, de la jeunesse et de l’avenir. Il affichait en toutes circonstances, à l’égard de tous, ces sentiments bienveillants qui complètent, dépassent et transcendent les liens politiques, les rencontres mécaniques et obligatoires, ces sentiments qui transforment, par la gentillese, notre existence et en font oublier les aléas, les tracas, les fracas. Les murs de ce monument se souviennent du chef d’état-major des armées le décorant de la Légion d’Honneur. Au téléphone, dans un premier temps, le Général Bentégeat m’avait dit : « je ne vais quand même pas décorer chaque week-end tous les adjudants de France », puis « je regarde le dossier ». Cinq minutes après, il avait rappelé : « C’est un brave parmi les braves. Je viens. Merci de me permettre de le décorer ». Avec Michèle Combes et sa fille nous lui rendrons hommage sur sa tombe après le moment de convivialité qui nous réunira, comme c’est désormais la tradition qu’il avait fixée, dans quelques instants au Lycée Marc Bloch le bien nommé.
Antonio et Bernard, je le redis, étaient deux soldats qui n’aimaient pas la guerre, mais qui ne voulaient pas qu’on oublie ceux qui, au XXIème siècle, continuaient de la faire. Ils savaient que le contraire de la reconnaissance s’appelle l’ingratitude. Un fait les aurait frappés. Durement. Chaque année, nous imaginons que la liste de ceux auxquels l’honneur importe de rendre hommage va être figée. Chaque année de nouveaux noms viennent s’y ajouter. Je songe, en premier lieu, à celui de Fabien Jacq, cheveux blonds, fier regard, yeux bleus, tombés voici vingt jours, à 28 ans, au Mali, à l’âge où on est encore un fils et on peut être un père. Je pense aux trois engagés des forces spéciales, disparus dans un accident d’hélicoptère en Libye, à ceux, membres de la DGSE, qui, récemment, ont laissé leur vie dans le crash d’un avion à Malte, à ceux, commandos, qui ont été grièvement blessés à Erbil, au Kurdistan, par un drone piégé, à nos gendarmes et à nos policiers qui nous défendent et sont attaqués, blessés, brulés comme en banlieue parisienne le mois dernier. C’est un même front, celui qu’ils tiennent : celui de notre société laïque, démocratique et républicaine face aux menaces intérieures, aux agressions extérieures. Nous sommes le 11 novembre et nous sommes dans un pays dont les armées font la guerre sans que nous y pensions toujours. D’autres se battent pour nous pendant que nous vivons chez nous. Une heure en novembre de compassion et de pensées, ce n’est pas cher payer notre sécurité et notre tranquillité. Nos armées sont notre fierté.
La guerre nous a longtemps paru loin. En Irak, en Syrie, en Lybie. Cependant, elle nous a rattrapés et, autour de nous, il y a des gens comme nous qu’elle a frappé à mort. Les dessinateurs de Charlie, les jeunes du Bataclan et Arnaud Beldon, si terriblement blessé et auquel nous pensons, les familles de Nice, les touristes et les promeneurs du métro de l’aéroport de Bruxelles, ce chef d’entreprise décapité dans l’Isère, un commissaire de police et sa compagne sauvagement assassinés à 40 km d’ici, le prête Hamel poignardé à Saint Etienne à 20 km d’ici. Leur sort a été atroce et ils ont souffert pour nous. Leur sang nous rappelle aussi ce que des peuples endurent. Nous pensons aux centaines de milliers de syriens, – nous avons eu raison d’en ici accueillir 80 -, d’iraniens, de migrants africains dont on connait les meurtriers : le fanatisme et la dictature, mais également la bêtise et la pauvreté.
Face à cela, il n’y a qu’une seule riposte : la démocratie qui n’est pas la démagogie. Cette différence est essentielle et elle le sera plus encore dans les mois qui viennent. Elle nous oblige à rappeler que les véritables fossés qui séparent les français, ce ne sont pas les races, les religions, ni même, peut être, les opinions, dont on nous rebat les oreilles dans les journaux, les discours et les radios. « Détestez vous les uns les autres », cela marche si bien que c’est devenu le programme d’un parti d’extrême droite. Non, les différences fondamentales et objectives qui nous séparent et qu’il faut réduire sont celles qui existent entre hommes et femmes, jeunes et vieux, urbains et ruraux, riches et pauvres. Pour dissiper ces inégalités, il faut faire disparaitre les injustices. Pour cela il n’y a qu’une seule politique. Celle qui s’exerce par le service public, l’école pour tous, l’impôt juste et mérité, par le retour de l’autorité et de la fermeté, par l’honnêteté et l’exemplarité des élus et des fonctionnaires. Ce n’est pas en s’adressant à toutes les minorités, à toutes les communautés, à toutes les individualités, une par une, même avec les meilleurs sentiments du monde, que l’on doit agir, mais en parlant, dans son ensemble, à la Nation qui est malade. Cela veut dire qu’au lendemain de l’élection d’un populiste sans expérience ni compétence à la tête du plus grand pays du monde et à la veille de la victoire au moins au premier tour de l’héritière d’un mouvement fasciste dans notre propre pays, il faut arrêter de faire, comme les élites rejetées, les experts auto-proclamés, comme les bons esprits et les biens pensants, la morale en permanence aux électeurs, mais leur proposer des solutions concrètes. Comme nous le faisons à Val-de-Reuil. Il faut que les plus favorisés ne vivent pas sur une autre planète que les plus précaires. Comme je m’efforce de le faire moi-même. N’en déplaise aux égoïstes et aux jaloux, aux bornés et aux envieux de tout bord. Il faut rappeler que le monde de Trump et de ceux qui l’imiteront sera à la fois dur pour les faibles et doux pour les puissants. Il faut comprendre que nos compatriotes ont besoin de valeurs et de repères : l’éducation, l’emploi, le renouvellement urbain et ce qui fait l’essentiel d’un pays, c’est à dire sa langue, sa culture, parfois ses frontières, toujours son « vivre ensemble ». Il faut aller au global par le local, vers l’humanité par la proximité, à l’union par la mobilisation et la participation, c’est à dire par l’inscription sur les listes électorales. Sans cela, l’émotion l’emportera sur la raison. Jamais deux sans trois, après le Brexit, le Trumpxit, il y aura le LePenxit. Attention, les répliques seront encore plus violentes que la première secousse.
La cohésion nationale, l’égalité des chances et la justice sociale, seules, nous permettront d’éviter ce désastre. Leur ardente obligation nous ramène à cette cérémonie et à notre pays que nous aimons.
Vive Val-de-Reuil, vive la République et vive la France !
5
NOV
2016
Le Président de la République François Hollande a décidé le démantèlement de la « jungle » de Calais. Les 6000 hommes, femmes et enfants qui s’y entassaient, conséquence directe des « accords du Touquet/Sangatte » signés par Nicolas Sarkozy qui avait très imprudemment accepté que la frontière britannique se trouve sur sol français, ont pu quitter ce bidonville géant devenu une honte pour notre pays.
Cette décision a été rapidement mise en œuvre, avec efficacité et humanité, par Bernard Cazeneuve, Ministre de l’Intérieur et sa collègue Emmanuelle Cossé, Ministre du Logement. Mais il aurait été illusoire d’espérer le succès de cette initiative, si elle n’avait pas été accompagnée d’un plan national d’accueil répartissant sous l’autorité des Préfets les personnes concernées sur l’ensemble du territoire. On ne pouvait prétendre aider Calais en restant les bras croisés. On ne pouvait pas non plus, comme le demande le Front National, rejeter à la mer ou faire disparaître d’un claquement de doigt des êtres humains, victimes avant tout, de la violence ou de la pauvreté. Qui peut s’arroger le droit de décider de la vie et de la mort des autres ?
Dans l’Eure, trois communes ont donc été choisies pour ouvrir un centre d’accueil et d’orientation des réfugiés. La commune de Serquigny et son Maire, notre camarade et ami Lionel Prévost, avec le soutien de son équipe municipale, ont ainsi accepté de recueillir la semaine dernière, 35 migrants, venus d’Afghanistan ou du Pakistan. Grâce au travail de la municipalité, ils ont provisoirement trouvé soutien et assistance, écoute et bienveillance, chaleur et réconfort. De la part des élus comme des habitants. Loin de voir cela comme une infamie, cette générosité, que certains à nos côtés et que nous saluons appellent charité, d’autres humanité, constitue le témoignage d’une volonté, celle d’une ville de 2000 âmes, suffisamment sûres de leur identité et de leur force pour tendre la main à leurs semblables affaiblis, épuisés, inquiets. C’est un message digne. C’est un message noble. Celui de la promotion et pas seulement de l’observation des droits de l’Homme. La France doit à chacun, sans distinction d’origine ou de nationalité, le même respect. Là est sa singularité.
Face à cet élan, face à la spontanéité du soutien citoyen qui s’exprime depuis plusieurs jours, le Front National, parce qu’il est petit, parce qu’il est étroit, parce qu’il est sans vision, ni grandeur pour notre pays, a décidé d’instrumentaliser cette situation. Il cherche dans les communes choisies pour accueillir ces hommes et ces femmes, souvent isolés, ces mineurs éloignés de leur famille et de leurs parents, à provoquer la peur. Faute de pouvoir incarner le courage, on se réfugie dans la lâcheté.
Parce que ce parti qui plonge ses racines dans les périodes les plus sombres de notre histoire, n’a jamais la moindre solution face aux problèmes, il fait le choix de la détestation, de la division, de la délation. Ce petit discours de la médiocrité ordinaire est constant. Il a trouvé un porte-parole à sa mesure lilliputienne Nicolas Bay. Cet homme au physique angoissant et qui, en toutes choses, ne prospère que sur l’ambiguïté, la bêtise, l’illusion a entrainé avec lui une poignée d’élus perdus et de responsables frontistes. Nous ne les laisserons pas parader. Les socialistes de l’Eure, les forces de Gauche, les associations, se dresseront devant eux.
C’est donc logiquement que la Fédération de l’Eure du Parti Socialiste a lancé un appel à participer, aux côtés de Lionel Prévost et des élus du Conseil Municipal de Serquigny, avec l’ensemble des forces progressistes et républicaines du territoire, au rassemblement de soutien pour l’accueil des réfugiés qui s’est déroulé au même moment, devant l’Hôtel de Ville de Serquigny. Venus de tout le département, nous sommes en cet instant très nombreux à nous retrouver pour défendre la solidarité, la fraternité et le progrès. Le rôle des socialistes de l’Eure, ce matin à Serquigny, comme partout et toujours, est de battre et de combattre le Front National qui dresse les hommes les uns contre aux autres, abaisse la République, ses valeurs démocratiques et sa grandeur morale.
Communiqué de Marc-Antoine Jamet,
Premier secrétaire de la Fédération de l’Eure du Parti Socialiste
22
OCT
2016
Ici, à Val-de-Reuil, dans ce beau Théâtre de l’Arsenal, comme Maire et parce que je serai, à ce titre, votre hôte pour l’essentiel de ce colloque, l’honneur et le bonheur m’appartiennent de vous souhaiter la bienvenue. Notre commune, plus jeune de France, est une ville multiculturelle, une ville du vivre-ensemble, une ville qui, habitants, énergie, solidarités et fêtes, doit beaucoup à l’Afrique. Il est, dit-on, du côté de Pretoria et de Jo’burg, des Nations « arc-en-ciel ». Il est aussi, plus près de nous, en Normandie, au bord de l’Eure, des communes qui ne sont pas moins bigarrées et tirent la même fierté de leur métissage. La mienne accueille soixante-dix nationalités. Juste deux fois moins que le nombre des pays que rassemble l’Organisation des Nations Unies…
Je veux donc très chaleureusement remercier tous ceux, orateurs, organisateurs, auditeurs, qui – étrangement – ont choisi, pour venir parler d’un continent immense qui s’étend des rives de la Méditerrannée aux brumes du Cap de Bonne Espérance, de monter sur cette scène et de s’emparer d’un micro, non pas à Paris ou à Rouen, bourgades d’une certaine importance, mais à Heudebouville, à Louviers et à Val-de-Reuil unies pour les accueillir.
Certes, pour nous consoler, nous nous répétons que « small is beautiful », mais il y a là comme un mystère. Sa résolution est simple : elle tient à la générosité et au dévouement des hommes. Je pense notamment à tous les intervenants qui se sont mobilisés ce matin. Ce serait faire injure à notre édition 2015 que de dire qu’ils sont, en 2016, encore plus nombreux, plus qualifiés, plus diversifiés dans leurs origines et leur parcours. Cela serait d’autant plus indélicat que, comme l’ancien Premier Ministre de Guinée M. Kabiné Komara, aujourd’hui Président du comité d’organisation de la mise en valeur du fleuve Sénégal, qui préside avec le mélange d’autorité et de sagacité qui lui est propre notre table-ronde introductive et que je salue respectueusement, comme moi-même, plusieurs de ceux qui vont parler ce matin, font partie des revenants de la première saison. Il n’empêche qu’il semble certain que, en une année ; que notre taux d’audience a augmenté. Nous le devons probablement à la présence de Xavier Belin, le président de la FNSEA, et à Clothilde Eudier, ma collègue du conseil régional de Normandie en charge de l’agriculture que Bernard Leroy, le regard souvent tourné vers Caen, n’a pas manqué, avec raison, d’inviter.
J’ai parlé de « mystère ». J’aurais pu dire « challenge ». Car après le temps des fondations, vient celui des confirmations. Rééditer un succès n’est jamais facile. Il faut, au service de l’Afrique, un engagement de tous les instants et une inébranlable volonté. Elle peut souvent enthousiasmer. Elle peut parfois décourager. Cette implication, cet investissement, s’incarnent en un couple qui a su parfaitement inventer et réinventer ces rencontres. Je veux évidemment me tourner vers Hubert et Thérèse Zoutu qui méritent vos applaudissements. Quand bien même me dirait-on qu’ils ont quelques attaches secrètes, invisibles, insoupçonnées, avec le Bénin, explication première de leur passion, il faut s’incliner devant leur abnégation et leur altruisme. Dans un certain parti politique qui traverse aujourd’hui des vents contraires, on aurait à leur endroit osé prononcer le mot d’internationalisme et il ne l’aurait peut-être pas rejeté, mais, trêve de philosophie militante, je ne veux choquer aucun de ceux qui, sans repos ni relâche, courent déjà les estrades en vue des prochaines élections. Sur la route de Louviers, j’en vois qui s’efforcent de faire prospérer leur petit commerce. Ne les déstabilisons pas.
Même si Thérèse et Hubert ne sont plus des enfants, il leur fallait pour réaliser leur rêve, qu’on pourrait facilement qualifier de miracle, une bonne fée et un parrain. Celle qui a tenu la baguette magique, c’est Sabine Renault-Sablonière. Elle a travaillé une année entière, nous bombardant d’emails à tout instant du jour et de la nuit, pour qu’adviennent ces 48 heures d’échanges et de débats. Il faut vraiment l’en féliciter. L’enchanteur, c’est mon ami Jean-Hervé Lorenzi, allié fidèle de cette Ville dont il a participé à plusieurs reprises, par ses conférences ô combien savantes, à l’éducation des lycéens. En guise de sortilèges, il nous a apporté ses réseaux, sa diplomatie, son expertise et la confiance que, par son élégance et son intelligence, il dégage. Il a donné sa caution, purement intellectuelle, rassurez vous, même s’il est un des piliers du Groupe Edmond de Rothschild, et elle était indispensable à la légitimité de cet événement. Par sa seule présence, il nous assigne un objectif : faire aussi bien que les rencontres du cercle des économistes qu’il anime chaque année, au début de l’été, à Aix-en-Provence et dépasser celles de Singapour qu’il est en train de créer en Asie. C’est effectivement le seul mal que nous nous souhaitons.
Permettez-moi d’aller dans cette introduction au-delà du mot d’accueil que, dans une saine utilisation des compétences et des connaissances, vous m’aviez aimablement réservé et d’y ajouter quelques remarques générales nées de mon amour pour cette partie du monde et du travail que j’y ai accompli pour la Cour des comptes comme contrôleur des fonds de coopération.
Première remarque. L’Afrique n’est pas un pays. C’est un continent. La différence n’est pas mince. Notre communauté de destins ne s’inscrit donc pas (ou pas uniquement) dans la relation d’une poignée de capitales avec Paris, dans une histoire politique figée, dans un passé perpétuellement ressassé, ce qui est bien commode pour protester et revendiquer, mais commence à devenir inutile, presque ridicule, pour réfléchir et travailler. Le temps des indépendances est loin derrière nous. Il n’y a plus de grande tâche rose sur la mappemonde Vidal-Lablache. Tournons la page dans la reconnaissance de nos erreurs et, parfois pour notre part, de nos fautes. Mais cessons de bégayer pour chanter ou blâmer les siècles anciens. Cette approche a d’ailleurs toujours été réductrice. Quel intérêt peut-il y avoir à laisser paternalisme, d’un côté, et rancune, de l’autre, se regarder stupidement en chiens de faïence. Il y a sans doute mieux à faire que l’apologie ou la dénonciation des empires coloniaux. Ils ont été. La France a pu apporter dans cette relation viciée ses forces et sa richesse. Les contingents africains, par deux fois, ont versé leur sang pour la libérer d’un envahisseur voisin. Une comptabilité des bienfaits et des errements serait macabre.
Notre vrai lien réside dans une proximité géographique évidente, dans des objectifs militaires similaires, dans une solidarité économique nécessaire, réalités que de bons esprits s’acharnent à nier, que ne suffisent pas à décrire, mais dont témoignent symboliquement le drame atroce, le calvaire de ces migrants dont l’exil est un enfer, le quotidien libyen un esclavage et la mer un cimetière. Leur fuite éperdue vers ce paradis européen, que forment la Jungle de Calais, les barbelés tendus par la Hongrie et les pays de l’ex-Yougoslavie, les camps de rétention des iles grecques ou italiennes, est également une des conséquences de l’insuffisant développement agricole du continent africain. Je l’affirme : la non attractivité, l’absence de formation, de financements et d’emplois, alors que parfois la croissance est là, est aussi un des aspects de la question que vous vous posez ce matin. C’est aussi un des explications de l’impossibilité qu’a l’Afrique de nourrir ses enfants. Ne restons donc pas dans des considérations technocratiques et prenons le risque de discuter en humains.
Seconde remarque. Il est bien de parler d’agriculture et d’alimentation. C’est fondamental. Comment vivre sans manger ? Mais la vraie donnée de référence aux discussions de notre matinée, surtout si l’agriculture demeure pour l’Afrique un moteur de croissance, c’est la mondialisation climatique et environnementale. Elle est le socle de nos propositions céréalières ou numériques. Ce n’est pas un hasard si, dans le prolongement de la COP 21, ce succès que l’on doit à François Hollande, à Laurent Fabius et à Ségolène Royal, la 22ème conférence mondiale sur le climat s’ouvrira à Marrakech. C’est en Afrique, plus qu’en Chine et en Inde, que l’on mesurera les premières retombées du volume colossal de CO2 émis par les voitures de Pékin et Dehli. Deux degrés de plus et ce sont 15% des terres arables qui disparaîtront de la surface du plus vieux des continents. Entre agriculture et environnement, le lien pour l’Afrique s’appelle agro-écologie et agro-foresterie.
Troisième remarque. Aucun de nous, probablement, ne deviendra le moderne équivalent de Rimbaud en Abyssinie. Pas certain que l’enfant poète devenu simple trafiquant ait compris la beauté de ce qui l’entourait. Mais pour parler de l’Afrique et encore plus pour y entreprendre, il ne suffit pas d’y voyager et, de délégation en délégation, de s’y promener de mission en mission, d’y passer quelques séjours biannuels dans des hôtels climatisés, fût-ce depuis 50 ans. Il faut la comprendre. Il faut s’en éprendre. Il faut la connaître c’est-à-dire l’aimer et la respecter. Il faut la parcourir et la rencontrer. Il faut s’y perdre et s’y retrouver. Croix du Sud ou Voie Lactée, c’est dans son ciel qu’on voit le mieux les étoiles. C’est dans son sol qu’on découvre Lucy et l’enfance de l’humanité. L’Afrique est repère. L’Afrique est mesure. C’est pourquoi il faut apprendre l’Afrique, ses peuples, ses espoirs, ses cultures. Il faut en respirer le parfum qui, à Bamako, à Ouagadougou, à Dakar vous saisit à la descente de l’avion. Il faut attendre la nuit qui tombe brièvement dans un maquis de Bangui, de Kinshasa ou de Nairobi. Il faut rouler « à la grâce de Dieu » entre Thiès et Saint-Louis, prendre le chemin de fer qui va de Djibouti à Dire-Dawa puis vers l’Ethiopie, longer la route des camions citernes entre Lomé et Yaoundé, suivre la « sahélienne » qui, d’aéroport en aéroport, traverse la savane tropicale de part en part, quittant l’Atlantique pour rejoindre l’Océan Indien, comme un bus aérien. Il faut voir un film au cinéma « Normandie » de N’Djamena, se promùener à La Marsa, dans les faubourgs de Carthage, jouer un match de football contre une équipe menée par Blaise Compaoré et Thomas Sankara encore amis, flâner à Gorée une 33 centilitres à la main. Il faut contempler les grands lacs au milieu de ce qui fût au Rwanda, au Burundi, un paysage bucolique quasi helvétique, gravir les premières pentes du Kilimandjaro, se promener le long de la plage à Durban. Il faut rêver à Tipasa, respirer un jasmin à Sidi-Bou-Saïd et déjeuner à Tanger. Il faut vénérer la couleur bleue avec les malgaches, admirer la finesse et la beauté des hommes et des femmes de Dar-es-Salam, rendre hommage au grand Mandela. C’est la chair de notre conversation qui, sans cela, serait si mécanique, si technocratique.
Quatrième remarque. La question de l’alimentation est en fait celle de l’eau, celle du stress hydrique, celle de l’irrégularité, de la réduction et de l’insuffisance des pluies. La CASE le sait qui, en la matière, a monté des projets de coopération avec Veolia. Si 60% des terres arables ne sont pas encore cultivées en Afrique, leur exploitation soudaine peut faire naître un nouveau problème. En effet, le besoin en eau que la fin de la jachère exigerait est bien plus important que ce que peuvent fournir les ressources naturelles hydriques. La nappe phréatique n’y suffira pas. Les précipitations non plus. Les réserves, fleuves ou lacs, encore moins.
Cinquième remarque. Dans la situation que vit aujourd’hui l’Afrique, tout n’est pas facile, tout n’est pas évident. Nous ne pouvons palabrer doctement sur nos chaises sans nous apercevoir et reconnaître que beaucoup de choses, positives, qui avaient été prédites, ne se sont pas produites. Il y a eu un catastrophisme africain teinté en occident de compassion. Il ne faudrait pas qu’il y ait demain un angélisme africain matinée d’indifférence. La vérité est dure. Il n’y a pas eu de fin des conflits et d’émergence généralisée de la stabilité politique en Afrique. La spoliation et la surexploitation économique du continent par des tiers n’ont pas cessé. Au contraire, des puissances gigantesques se sont mises à y participer. Que l’on songe à l’extraction des terres rares… La stabilisation démographique de l’Afrique est encore à venir. Les classes moyennes se sont moins développées qu’on ne le croyait. En 2050, la population du continent aura doublée. Elle atteindra 4 milliards d’habitants, soit ¼ de la population mondiale, deux fois la Chine ou la Chine et l’Inde réunies. Comment faire vivre, nourrir, former tant de nouveaux habitants dont la moitié auront moins de 25 ans ? Résoudre la question alimentaire est fondamental. Parler du numérique est certainement prioritaire. Mais ces deux réponses ne couvriront pas toutes les questions qui se posent à la mère des continents. Regardons par exemple les efforts de productivité que l’Afrique qui cultive 15% des terres arables et ne produit que 5% des volumes de ressources agricoles doit encore consentir, le manque de capacité énergétiques qui entraîne la pénurie en électricité contre laquelle veut lutter Jean-Louis Borloo, ou bien son sous équipement en matière de transports pour répartir semences et produits.
Alors, oui, vous avez raison de vous réunir au nom de l’amitié entre la France et l’Afrique, ou plutôt car, de Jacques Foccart à Claude Guéant en passant par Jean-Christophe Mitterrand, l’expression a fini par être un peu connotée, entre l’Eure et l’Afrique. Oui réfléchissez au nom d’une libre circulation entre les continents régulée loin des populismes haineux et stériles au bénéfice de la famille et de son regroupement, de l’investissement (de la France en Afrique et de l’Afrique en France car les deux courants existent), de l’université et du savoir. Oui, réfléchissez au nom de la créativité, de l’intelligence et de la jeunesse, au nom de l’innovation numérique qui peut transmettre des subventions sans la dîme de la corruption sur un smartphone, donner des indications météorologiques à un éleveur, fournir des didacticiels à un cultivateur, du développement durable et de l’entreprise privée à ce que sera le futur de l’Afrique. Comme Président de la Cosmetic Valley, je ne peux que vous y engager tant je vois, notamment dans le domaine du développement industriel des savoir-faire traditionnels, ce qu’on appelle la cosmétopée, des pistes d’avenir, comme on en discerne également pour l’agriculture avec les réussites récentes de la mangue, du sésame, du karité, marchés à forte valeur ajoutée.
L’Afrique est un marché et une amie, une chance et une conscience, un avenir et un modèle. Mais n’oubliez jamais que c’est à l’Afrique d’inventer son propre chemin. Je vous remercie.
19
SEPT
2016
Discours de M. Marc-Antoine JAMET,
Maire de Val-de-Reuil, Vice-président de la Communauté d’Agglomération Seine Eure,
Président de la Commission des finances de la région Normandie,
Pose de la 1ère pierre de la nouvelle unité de production maroquinerie Hermès
Mercredi 7 septembre 2016 à 10h30
Monsieur le Directeur Général qu’il m’arrive de croiser dans les aéroports asiatiques les plus éloignés d’une Normandie à laquelle je vous sais attaché au moins par le Vexin dominical.
Monsieur Président de la Communauté d’Agglomération Seine-Eure que je croise régulièrement, loin de l’Asie, dans ce bâtiment compliqué, Place Thorel, qu’on appelle la CASE, mais qui doit être une sorte d’aéroport de Louviers tant il en a l’allure désespérante et figé.
Cher(e)s collègues du Conseil municipal de Val-de-Reuil, puisque nous sommes ici sur un site rolivalois et non au Vaudreuil comme j’ai pu l’entendre dire, puisque nous revendiquons davantage, en fait de participation à cette implantation industrielle, que la fumée des gaz d’échappement des camions de livraison.
Cher(e)s ami(e)s qui travaillez dans cette très belle maison universellement connue qu’est Hermès Sellier et qui nous amenez, par votre réussite, par votre savoir faire, par la qualité de vos métiers, la renommée du Faubourg Saint-Honoré,
Je ne peux commencer mon propos sans relever trois paradoxes.
Le premier, c’est celui de l’éternel retour. Nous savons tous que Thierry Hermès, le fondateur, l’éponyme, l’homme venu d’Allemagne sans qui rien n’aurait existé, a fait son apprentissage de maroquinier dans l’Eure en 1821. Il fût embauché non loin d’ici, par les tanneries Costil. Il y a vécu avec sa femme à partir en 1826, l’a quitté en 1828, puis y est revenu pendant la guerre de 1870, cherchant la paix, et peu avant son décès un endroit où il se sentait bien. Malheureusement, ce n’était pas à Val-de-Reuil, construit en 1975, mais à Pont-Audemer, qui avait été construit un peu auparavant. C’est cependant tout comme à l’échelle d’une marque mondiale. Les facéties de l’éternel retour, leur paradoxe, c’est de voir Hermès revenir là même où un jeune homme, à 20 ans, était venu se familiariser avec les techniques de la sellerie et du cuir. C’est donc, Monsieur le Directeur Général, une immense fierté qui nous remplit aujourd’hui en voyant Hermès revenir chez lui et l’Histoire accomplir un de ces boucles dont elle a le malin secret..
Le deuxième paradoxe, c’est celui de la concurrence apaisée. Vous me permettrez d’en dire un mot. Comme Secrétaire Général du Groupe LVMH, j’ai signé de nombreux permis de construire, parfois concernant des ateliers Louis Vuitton, mais c’est évidemment la première fois que je signe le permis de construire d’un atelier Hermès. Il se trouve que ce n’est pas à la même place sur le papier puisque c’est en tant que Maire. Quoi qu’il en soit, j’en suis content et suis certain que le seul « seuil » que nous franchirons ensemble, c’est celui de l’hospitalité et de l’amitié que l’autorité des marchés financiers n’a pas à connaitre.
Le troisième paradoxe, c’est celui de l’alliance des contraires. La ville de Val-de-Reuil était la ville la plus pauvre de Haute-Normandie jusqu’il y a peu. Comme vous le savez, les Régions ont été rassemblées. Il y en a moins et elles sont plus grandes. Pourtant, l’INSSE nous a appris cet été que nous, nous sommes devenus la ville la plus pauvre de la Normandie réunifiée. C’est un titre dont nous nous passerions volontiers. Malgré nos succès industriels, les entreprises qui vont bien sur ce territoire et s’y activent avec bonheur, notre population, nos habitants continuent de souffrir. Vous représentez, à bon droit, la richesse et l’aisance. Ils ont pour certains d’entre eux la précarité comme horizon. Il n’est pas jusqu’à votre qui est cent cinquante fois supérieur au nôtre pour des effectifs à peu près équivalents. Nous 16.000 habitants et vous 20.000 salariés. Il est vrai que nous n’avons pas votre notoriété, votre tradition et votre force. Autant dire que nous avons vocation à nous entraider pour qu’un peu de la poussière d’or du Birkin ou du Kelly tombe sur nos épaules.
Je veux donc vous dire ma reconnaissance. Vous nous apportez de l’emploi. 16000 personnes vivent à Val-de-Reuil et 1600 sont au chômage. Il y a une sorte de devoir de recrutement qu’avec Pole Emploi et sa directrice Colette Salamone, avec le CCAS de Val-de-Reuil, vous avez déjà mise en œuvre en sélectionnant des dossiers de demandeurs d’emploi de notre Ville et de notre agglomération. Je voudrais encore vous en remercier. Cela d’autant plus que votre venue, votre extension, puisque l’usine de parfums, celle de l’eau des merveilles, de calèche, la collection des « Jardins », est déjà, depuis trente ans, à cheval entre le Vaudreuil et Val-de-Reuil, va faire du bien à nos recettes. Certes, je les partage avec Bernard Leroy qui m’a convaincu, je ne sais trop comment, sans doute en me droguant, de lui en céder une bonne partie, par solidarité avec les autres communes de la CASE. C’est évidemment une bonne chose pour nos collectivités qui en ont besoin..
Vous ne vous êtes pas trompé en vos installant ici, le long de l’axe structurant dont j’attends la concrétisation impatiemment, où vivaient Brossard et Altix parti sur le Parc des Portes pour y prospérer, ici où nous savions par les bases fiscales que se trouve la plus grande dynamique économique du département. Tout autour de nous, il n’y a que des leaders ou presque. Val-de-Reuil est repérée sur les cartes du monde entier parce que nous sommes leaders dans la pharmacie, la défense, l’informatique, la cosmétique avec Sanofi, Johnson & Johnson, Jansen, Orange, EDF, BNP, DCNS. Premiers fabricants de vaccins au monde, c’est également dans nos usines que s’imaginent des porte-avions, des sous-marins. C’est ici que le plus gros data center et le plus écologique de France a été construit. C’est ici qu’on a introduit la télévision sur tous les portables. Des premières, des exclusivités, des miracles, nous en avons accumulé.
Il se trouve que nous avons un certain nombre de points communs. Votre maison et notre commune ne sont pas si antinomiques. Je connais vos valeurs. L’esprit de famille ? Nous l’avons. La marque ? Val-de-Reuil en est une. L’investissement pertinent ? Nous ne dépensons que pour le futur, la fibre dont vous allez profiter, le renouvellement urbain. L’excellence ? Nous la cherchons. L’innovation ? Une centaine d’architectes parmi les plus fameux du pays ont travaillé sur nos projets de renouvellement urbain. La tradition ? Nous y croyons justement parce que nous sommes jeunes. Nous serons à la hauteur. Ne l’avons nous pas déjà prouvé ? Nous avons réussi, pour que les choses se fassent vite, à vous délivrer un permis de construire, reçu le 8 décembre, le 15 janvier. 1800 m2 de construit pour 1600 m2 de détruit, le compte est bon. Je veux bien évidemment en féliciter les services municipaux de Val-de-Reuil puisque nous avons la compétence de l’urbanisme et que cela nous conduira à nous parler fréquemment. Déjà nous avons envisagé plus sérieusement la végétalisation des 214 places de parking que vous allez créer et j’ai validé le remarquable bardage bois qui viendra remplacer l’existant tristement métallique. Nous avons eu des rendez-vous avec le Préfet sur des sujets de dépollution, sur des sujets d’installations classés. Je crois que les choses se sont également bien passées. C’est la modeste pierre que nous vous apportons à votre remarquable édifice. Dans la corbeille de la mariée, nous vous apportons la Ville qui a connu la plus grande sécurité dans le département de l’Eure cet été avec zéro cambriolage et une seule agression. Nous sommes la première ville de plus de 10 000 habitants à être aussi tranquille, aussi sage. C’est important pour la vie d’une entreprise. Pour l’avenir, nous serons toujours à votre écoute, à l’écoute de vos équipes, en proximité, en sympathie, en rapidité.
Je voudrais terminer en rappelant une chose que l’on ne dit pas toujours. J’ai la chance, sous l’autorité de M. Bernard Arnault de travailler pour le leader mondial du luxe : LVMH. Notre secteur est un secteur en pointe où la France est première, où Hermès est une entreprise magnifique, car les produits que vous faites sont des produits qui font rêver. Vous m’avez dit que vous seriez encore là dans cent ans et vous m’avez donné rendez-vous en 2117. Ne comptez pas trop sur l’opposition car, à Val-de-Reuil, elle papillonne, papote et patafiole. Je serai donc encore le Maire entamant gaillardement mon 36ème mandat. Il faudra que je tienne jusque-là.
Je n’attendrai donc peut être pas jusque là pour vous dire ma joie c’est un cadeau extraordinaire qu’Hermès fait à la Normandie, à l’Eure et à la ville de Val-de-Reuil. J’en suis tout à fait conscient. Votre univers est moins évident que ne le croient les gens. C’est celui des fluctuations monétaires, des comportements changeants de nos amis chinois, d’une situation internationale, qui se complexifie, des flux touristiques qui se modifient, des concurrents nouveaux qui arrivent. Il n’en demeure pas moins que vous êtes comme LVMH l’alliage de la passion et de la création, comme nous le sommes Avenue Montaigne, le futur de la tradition. A l’instar de Dior et de Vuitton, ces maisons d’exception que je connais bien, quand on travaille pour Hermès, quand on travaille pour une maison comme la vôtre, on est assuré d’avoir la durée devant soi, la solidité devant soi et la qualité devant soi. Vous avez su en investissant dans l’aval et l’amont remonter la chaine de valeurs pour protéger votre plus-value intellectuelle, industrielle, culturelle, ce qui fait l’essence du Made in France. A partir du moment où ce qui fait l’excellence française, et que Hermès représente au plus haut point, est dans vos mains, et bien nous n’avons rien à craindre parce que beaucoup passeront quand nous serons, vous et nous, encore là.
Nous avons désormais un rendez-vous à la fin de l’année 2016 ou au début de l’année 2017. C’est ce que m’a confié votre architecte qui fait travailler nos entreprises locales ce dont je le remercie. Même si la maroquinerie a un calendrier précis, je ne suis pas certain que nous pourrons ouvrir le site pour Noël et les fêtes. Tant pis, notre rythme sera un peu différent de celui des magasins. Qu’importe, vous êtes là pour des siècles ! Aujourd’hui restera pour vous et nous un grand jour : les cuirs du Vaudreuil, commune estimable, deviennent la Maroquinerie de Normandie qui avec la Californie est la région géographique la mieux connue au monde. Maroquinerie, Hermès, Normandie, Val-de-Reuil, tout ceci ne fait pas mauvais ménage. Je voulais vous féliciter, vous remercier, saluer tous les salariés. Je repars sans regrets vers le Groupe LVMH, car il sera toujours incomparable et le plus cher à mon cœur. Mais je dis sans restrictions ni réserves, longue vie et bravo à Hermès, le sellier du Faubourg Saint Honoré.
17
SEPT
2016
Discours de M. Marc-Antoine JAMET
Maire de Val-de-Reuil, Secrétaire Général et Directeur Immobilier du Groupe LVMH
Remise du Prix AMO à la Fondation Louis Vuitton
15 septembre 2016 – 18h30
Madame la Ministre, chère Audrey Azoulay, vous avez eu raison d’extraire d’un agenda très chargé quelques minutes pour les partager avec nous. D’abord parce que ce bâtiment ne vous est pas tout à fait étranger. Vos pas ont dû vous y conduire presque naturellement. Si vous n’étiez pas présente lors de la conception de ce bébé de verre et d’acier en 2006, vous avez rejoint l’équipe obstétrique qui s’est chargée, côté maternité de l’Elysée, de son accouchement en 2014.
Deuxième raison qui plaidait en faveur de votre présence, cette cérémonie ne peut pas être plus ennuyeuse que les « victoires de la musique », plus interminable que les « césars » et, pour le moment, la perspective que l’un d’entre nous, comme aux « Molières», se dévêtisse pour que vous preniez conscience de visu d’une revendication catégorielle, sociale ou fiscale, semble assez faible. Je parle cependant pour moi et ne m’engagerai pas pour les autres, car nous ne sommes qu’au début de l’exercice qui nous rassemble sous les toiles de couleurs de l’américain Elworth Kelly.
Tout juste pourra-t-on vous reprocher de ne pas avoir joué le jeu en omettant de respecter les règles fondamentales de notre association puisque vous êtes venue ici, en tant que maître d’ouvrage de la rue de Valois, sans votre architecte, celui du Palais Royal. Victor Louis, il est vrai, est mort un 2 juillet 1800 ce qui relativise ma critique et la ferait presque relever d’une fronde anti-gouvernementale inhabituelle dans notre pays et inconnue de sa majorité politique.
Quoi qu’il en soit votre place est évidemment à nos côtés, car il n’est pas que le spectacle qui soit vivant. Le patrimoine l’est tout autant et, outre celui qu’il faut entretenir et conserver, existe naturellement celui qui est en train de se créer sous nos yeux, celui qui deviendra classique, celui qui sera le paysage de l’avenir et dont les acteurs sont devant vous. Pour redevenir parfaitement sérieux, ce qui est le genre de beauté habituel du secrétaire général de LVMH, je sais qu’en matière de modernité, de discernement et d’écoute, vous ne vous en laissez pas compter et que c’est une chance, pas seulement ce soir, que de vous voir occuper avec simplicité, clarté, dynamisme et détermination le bureau de Jack Lang et d’André Malraux.
Je voudrais également saluer les nombreux architectes qui ont tenté, ce soir, de prendre place dans une salle dont j’ai pourtant prévenu notre président qu’elle comptait infiniment moins de sièges qu’il n’avait d’amis, de parents ou d’obligés à inviter. Heureusement, ce bâtiment est « un nuage posé sur l’eau », « a cloud on the water » et nous devrions éviter tous ensemble l’incendie, ce qui nous fera échapper lui et moi au centre de détention. A la moitié d’un propos, pour ne pas endormir l’auditoire fatigué, il faut se fendre d’une confidence. La profession d’architecte est celle que j’aurais voulu exercer si j’avais eu de l’imagination, du courage et du talent. Hélas !
J’avoue que ce regret ne m’a pas empêché pour autant de signer la pétition internet exigeant que les maîtres d’œuvre coupables d’avoir édifié un bâtiment hideux soient fusillés à ses pieds ou condamnés à y habiter. Ne le prenez pas mal, d’abord parce que cela ne concerne aucun de vous et ensuite parce que c’est ce que je disais régulièrement à un homme que j’admirais et respectais, qui est mort dernièrement et dont je m’étais juré de citer le nom devant cette assemblée, à Gérard Thurnauer un des fondateurs de l’atelier de Montrouge qui a construit la plus jeune commune de France, Ville nouvelle dont je suis le Maire, Val-de-Reuil. J’en profite pour tous vous inviter à y venir et à construire après qu’une centaine de vos confrères l’a fait, Manuelle Gautrand, la dernière en date, pour un somptueux immeuble vert financé par Nexity.
Enfin, puisque AMO ne signifie définitivement pas autisme, mépris et outrages, je voudrais saluer tous ceux qui, du côté de la maîtrise d’ouvrage prenne le risque d’un dialogue avec un architecte, c’est à dire avec un homme ou une femme, avec ses forces et ses faiblesses, qui, pour abriter leurs activités d’utilisateur, de promoteur ou d’investisseur, donne un volume, une couleur, un profil à leurs rêves, apporte ses idées et offre sa sensibilité, son savoir-faire et sa compétence. Sans eux, nos villes et nos vies seraient d’une grande laideur, d’une grande monotonie.
De ce point de vue, la Fondation Louis Vuitton est un joli résumé de nos préoccupations. Elle abritait, hier, au même endroit et à la même heure un couple extraordinaire : Franck Gehry et Daniel Buren. Mais c’est à un autre duo que je voudrais rendre hommage. La Fondation Louis Vuitton, ces 2584 panneaux de verre, ces 19 000 feuilles blanches de Ductal, ces trente brevets exclusifs, son auditorium en Corian, n’existeraient pas en effet sans la volonté visionnaire de Bernard Arnault, sans le génie créateur de Franck Gehry, mais surtout sans l’alliance de leurs deux intelligences, sans la confiance mutuelle qu’ils se sont faites sans rien laisser au hasard, ni s’enfermer dans un cahier des charges, en devenant complémentaires et non rivaux, l’un le mécène polytechnicien, l’autre l’artiste californien, accompagnés de la vigilance et entourés de la bienveillance de mes amis Bertrand Delanoë et Renaud Donnedieu de Vabres, puis de Frédéric Mitterrand.
Je pourrais multiplier les exemples de cette libre association entre un manager et un créateur, dualité sur laquelle repose le succès des maisons du Groupe LVMH. Elle se retrouve dans la plupart de nos réalisations architecturales et puisque je suis le directeur immobilier de ce groupe, je voudrais en citer trois exemples. Je pense à La Samaritaine qui a vu autrefois s’établir le partenariat des Cognacq-Jay avec Frantz Jourdain et Henri Sauvage et qui, devenu monument historique, se poursuit aujourd’hui par celui qui nous unit à l’agence japonaise Sanaa et à Edouard François. Je pense aussi à la manière que nous avons eu de construire notre siège Avenue Montaigne avec la complicité de Jean-Jacques Ory et de Jean-Michel Wilmotte. Je pense enfin à la concession future du Jardin d’Acclimatation, derrière ces vitres, que Napoléon III, l’Impératrice Eugénie et Hausmann n’auraient pu réaliser sans Alphand, Davioud, Barillet-Deschamps et que, à la demande d’Anne Hidalgo et de Bernard Arnault, nous allons refaire de fond en comble avec Jean-François Bodin, Jim Cowey, Philippe Deliau, Didier Balland et Arnaud Delloye pour que les gamins de Paris puissent encore longtemps se souvenir du « Petit Train » et de « Rivière Enchantée ».
C’est pourquoi j’ai été heureux que l’on me propose la présidence de ce jury dont j’avais déjà été membre sous l’empire du Préfet Jean-Pierre Duport. En célébrant les noces du Maître d’Ouvrage et de l’Architecte, le Prix AMO veut rendre hommage à des réalisations à la fois belles et utiles, les rendre visibles au-delà de leur territoire et de la communauté qui en bénéficie directement au quotidien. J’ai été heureux de ces journées où, avec Madame la directrice de l’architecture, architectes, fonctionnaires, journalistes, entrepreneurs (je songe à mon collègue de la Cour des comptes Michel Clair), nous avons séparé le bon grain de l’ivraie. Le choix était difficile. La moisson de talents de l’édition 2016 du Prix est en effet exceptionnelle et, s’il y a un palmarès, il comporte sa part d’arbitraire tant laboratoires scientifiques marseillais, résidences solidaires d’Emmaüs, habitat participatif lyonnais, logement social du marais, centrale à béton du périphérique, immeubles malouins, sièges d’entreprises dans le Sud-Ouest ou en banlieue parisienne, tours nantaises, bref tout ce que nous avons vu, était enthousiasmant, plein d’astuces et d’audaces. Abondance de biens ne nuit pas. Avec nos sponsors, GRDF et Saint-Gobain, nous n’avons finalement qu’une seule envie. Vous faire partager notre émerveillement devant ce qui est cohérent avec la « Stratégie nationale pour l’architecture » portée par votre ministère pour « transformer le quotidien des Français » et « promouvoir, auprès d’eux, la connaissance » de l’architecture avant la première édition des Journées nationales de l’architecture les 14, 15 et 16 octobre prochains. Nous en sommes en quelque sorte le beau préambule. Merci. Bonne soirée. Revenez à la Fondation Louis Vuitton et au Jardin d’Acclimatation.