24
NOV
2022
Discours de M. Marc-Antoine JAMET
Secrétaire Général du Groupe LVMH
Théâtre Rouge du Jardin d’Acclimatation
Remise des prix de « Poésie en Liberté »
Lundi 21 novembre 2022 à 19h00
Mesdames et Messieurs,
Le métier de secrétaire général de LVMH est assez peu poétique. On en conviendra sans peine et j’en administre par mon costume gris, ma chemise blanche et ma cravate éteinte, la triste preuve. Mon emploi, qui relève de la tragédie plus que de la comédie, consiste, en effet, à vendre des sacs à main, des rouges à lèvres et des bouteilles de champagne. J’en suis fier, mais cela m’éloigne du Parnasse. Je dois donc l’avouer : mon activité est un peu triviale. Il me permet cependant de vous accueillir dans cette salle du Théâtre Rouge du Jardin d’Acclimatation, concession de service public que la Ville de Paris a confié au leader mondial du luxe. A défaut de taquiner la muse, je nourrirai ce soir ses adorateurs.
Mais là aussi, je crains que nous commettions un terrible impair. Certes, ce parc est synonyme de littérature. Anatole France et Marcel Proust le fréquentèrent. Tant est si bien que, alors que nous célébrons cette année le centenaire de la mort de son auteur, après salué l’année dernière le cent-cinquantième anniversaire de sa naissance, il est cité à plusieurs reprises, privilège insigne, dans « La Recherche ». Davantage du côté des Guermantes que de celui de Swann, reconnaissons-le. Évidemment, ce parc est musical. Ravel et Debussy composèrent dans ses allées. Mais est-il poétique ? L’Histoire s’y oppose. Ses fondateurs, Napoléon III et l’Impératrice Eugénie, avec ou sans Prosper Mérimée, furent les adversaires du plus grand poète français, du proscrit de Jersey et Guernesey, de la légende de son siècle, de Victor Hugo.
Celui qui nous réunit, Matthias Vincenot, dans sa très grande mansuétude, a décidé néanmoins de passer outre. Au nom de l’amitié. Il dit me connaitre depuis 20 ans. Je le fréquente depuis 35. Les poètes savent rester jeunes. Stagiaire, récipiendaire, professeur à la Sorbonne et poète, je l’ai vu, au fil des décennies, n’avoir qu’un combat, ne défendre qu’une cause, en relever sans cesse le drapeau : celui de la poésie. Je l’en admire. Il est des engagements moins complexes et moins difficiles. Il y est pourtant fidèle. C’est un militant poétique.
Je suis donc très heureux qu’il m’ait invité à introduire cette soirée consacrée à la poésie. Je suis cependant inquiet de mon discours qui, sur un sujet trop élevé pour que je le maîtrise correctement, aura sur vous l’effet d’une dissertation de collège auprès de son correcteur, voire d’une camomille à la fin d’un repas dominical. Au premier rang de ce théâtre, je devine d’ailleurs des visages sévères, quelques rides et des cheveux blancs. Ce sont les membres du Jury. Ils sont impressionnants, même si j’y reconnais Jérôme Clément. Heureusement, derrière eux, j’aperçois la foule avenante des 15/25 ans que vous allez bientôt récompenser. Ils sont enthousiasmants.
Je souhaite évidemment que, galvanisé par leur exemple, leur mobilisation, notre rassemblement éveille un intérêt plus vif, plus large, plus grand, un intérêt quasi olympique pourrait-on dire à la veille des jeux de Paris, pour les poètes et pour leurs œuvres. Ce serait chose utile. Je n’imagine pas plus que vous un monde sans poésie et sans poètes. Si la preuve que le pudding existe, c’est qu’on le mange, la preuve que la poésie est vivante, qu’elle est actuelle, qu’elle est nécessaire, ce sont d’abord les poètes.
Nous en avons de bons et de grands, aimés bien au-delà de nos frontières. Je pense à Aragon. Que serions sans lui qu’un « cœur au bois dormant » ? Nous en aimons aussi venus d’ailleurs. Je songe à Nazim Hikmet dont ma mère avait affiché l’autobiographie dans sa chambre : « à trois ans, je fis profession de petit-fils de pacha ». De jeunes talents, ceux à qui vous allez remettre vos prix en témoignent et continuent d’apparaître. Ainsi va la relève, qui ne remplace personne, mais qui, à son tour, fait œuvre neuve. Vous êtes, chers mais, la garde montante.
J’ai dit que votre initiative était utile. Les poètes ne sont pas assez lus, quoique les tirages d’aujourd’hui eussent fait envie, de leur vivant, à Baudelaire et à Rimbaud. Il n’en demeure pas moins qu’il y a trop peu d’équipements, trop peu d’accompagnements pour les soutenir. Peu d’éditeurs, peu de structures pour les diffuser. J’ai la chance d’abriter dans la Ville dont je suis le Maire, en Normandie, à Val-de-Reuil, la plus jeune commune de France, une Maison de la Poésie. Elle est unique en Normandie. C’est une oasis dans un désert. C’est pourquoi, il faut aider non seulement la création, mais aussi l’édition et la diffusion des œuvres poétiques. C’est que nous faisons ensemble… Nous avons raison. Les auteurs et les autrices sont de plus en plus nombreux. On assiste dans la poésie au foisonnement des écritures et des idées. Il faut les faire connaître et reconnaître.
La poésie, toutefois, est un art mystérieux. Il faut l’apprivoiser. Elle évoque tous les sentiments et tous les stades de la vie. Elle dit l’amour et la mort, la vieillesse et l’enfance. Elle nous berce paradoxalement de la misère humaine. Elle vante la précarité universelle, celle de l’existence, de la sincérité, de la confiance. Elle est gravité et légèreté, joie et tristesse, nostalgie et folie. Elle fait parler les animaux et chanter les mots. Ce faisant, elle enchante. Même ceux qui ne la lisent pas. Elle est innovante et éternelle, improvisée et encadrée, spontanée et formelle. De René Char qui définit le poème comme « un bout d’existence incorruptible » à Aimé Césaire pour qui la poésie est « le battement de la vague mentale contre le rocher du monde« , on en revient toujours à cette idée la poésie prépare « à un rêve partagé qui ne serait plus solitude« .
Il est vrai que la poésie, lorsqu’elle est juste, atteint à l’essentiel. Elle va droit au cœur de ce qui est. Elle dit tout ce qui pourrait être. Elle est le « modeste violon « de Verlaine. Elle évoque avec Ronsard « l’éphémère parfum des roses ». Elle est messagère d’espoir, de liberté, entendue dans les périodes et dans des temps ou des lieux où d’autres paroles sont muselées. Elle reste après que tout a disparu, après que ceux qui l’ont composée nous ont quittés. « Longtemps, longtemps après que les poètes ont disparu, leurs chansons courent encore dans les rues ».
On n’imagine pas pouvoir un jour s’en passer. On ne se résigne pas à ce que tous n’y aient pas accès. Elle est rétive aux approches superficielles, aux engouements éphémères, aux modes orchestrées. Elle exige du lecteur qu’il fasse lui-même un bout de chemin et, de préférence, obtienne le silence autour de lui, peut-être même en lui. De l’éthique du poète à la pratique du lecteur, des correspondances s’établissent.
Elle est un antidote au bruit et à la fureur. Elle plaide pour la paix et exclue le fracas de la guerre. Dans un monde de plus en plus virtuel, elle plonge au cœur du réel. Dans une société des écrans et de l’instant, elle ralentit charnellement le temps. Dans une époque qui consacre trop souvent la futilité et l’accessoire, elle touche à l’essentiel, au sens et au partage.
Il est rare de citer François Mitterrand dans un festival de Poésie et, pourtant, c’est avec lui que je voudrais conclure. Le chat de Château-Chinon disait voici 35 ans, des mots qui me vont puisque je suis devenu, voici une semaine, pour la première fois grand-père. : « J’en ai pris le goût jeune, en cet âge – l’adolescence – qui est le temps de l’éveil des curiosités, des interrogations. Et je voudrais, si le poète, comme on l’a dit, est le dernier habitant de son enfance, qu’il fût aussi, très tôt, le compagnon de nos enfants. »
24
NOV
2022
Remise des insignes de Chevalier dans l’Ordre des Palmes Académiques
A Mme Céline Blugeon, Secrétaire Générale
du Centre National de l’Enseignement à distance (CNED)
par M. Marc-Antoine Jamet, Président du CNED
Chasseneuil-du-Poitou – Lundi 14 novembre 2022
Madame la Secrétaire Générale, chère Céline Blugeon,
Au cours des 25 années de « services » que vous avez données à la France et à son administration, vous avez probablement tout connu, grèves, virus, intempéries, déficits calamités, mais c’est à un tout autre danger que vous allez devoir faire face : celui de voir défiler les étapes de votre jeune carrière devant vos pairs avant de subir les approximations et les raccourcis, pour ne pas dire les erreurs, de mon éloge.
Vous avez été étonnée que je revendique l’honneur de prononcer ce discours. Vous ne vous attendiez pas à ma présence vespérale et poitevine. Pourtant, bien des choses nous rapprochent, au-delà de notre cantonnement géographique autour sur le petit côté de la table de la conseil d’administration, ses grands espaces étant réservés aux tutelles et aux organisations syndicales. Certes, ces points de convergence ne sautent peut-être pas aux yeux, tant je suis un vieux barbon et vous une éclatante jeune femme, mais il n’est pas si difficile d’en dresser la liste.
Je ne parlerai pas de notre goût partagé pour les plages atlantiques d’Oléron, le long desquelles vous marchez, ou pour les souks de Marrakech, dont la fréquentation, avec ou sans drone clandestinement introduit par un de vos fils au nez et à la barbe des pandores locaux, n’a pas d’équivalent pour mieux maîtriser les éléments fondamentaux des finances, de la comptabilité et du commerce. A se demander si cela ne fût pas un complément de formation pour atteindre l’excellence dans votre métier.
Je mentionne ces destinations chères à votre cœur et nécessaires à votre repos pour mémoire, car elles ont peu à voir avec la réunion amicale qui nous rassemble autour de vous ce soir. Non, il me faut parler de choses définitivement et totalement sérieuses, massives, rébarbatives, monolithiques, ce que Paul Claudel appelait les « travaux ennuyeux et faciles », qui sont en réalité passionnants et complexes.
D’abord, notre dévouement pour les finances publiques, leur exactitude, leur honnêteté, leur rigueur, tous les deux ayant agi en grande complémentarité, sans la savoir, vous dans les réseaux du Trésor Public, moi à la Cour des comptes.
Ensuite et évidemment le CNED, cette vieille dame que le digital et le besoin de formation doivent rajeunir, pour laquelle nous avons attachement et respect, à laquelle nous avons donné, vous énormément, moi beaucoup moins, tant de temps et d’énergie.
Notre titre professionnel, également, de Secrétaire Général qui n’est pas toujours d’une très grande transparence, ni d’une très grande homogénéité, vous dans le service public, moi dans l’entreprise privée, qui, certes, impressionne nos interlocuteurs, mais permet, hélas, à nos supérieurs de nous donner à faire tout et n’importe quoi.
L’ordre des Palmes académiques, enfin et surtout, puisque le fait que j’y appartienne depuis plus de trente ans, comme mon père et ma mère avant moi, et mon grand-père avant eux, me permet d’avoir le plaisir, l’honneur et l’avantage, non seulement de vous y faire entrer, après d’autres membres de votre famille m’avez-vous confié, mais de prononcer ces mots qui saluent votre engagement sans faille au sein de cette communauté éducative à laquelle ont la fierté d’appartenir une large majorité de ceux qui nous écoutent, et vous assurent de la reconnaissance de l’institution scolaire comme de la Nation tout entière.
C’est donc un bon moyen, un beau moyen de rappeler, devant vos amis et collègues ici réunis, quand bien même en seraient-ils déjà convaincus, que l’école, le savoir, la culture et la science, la mission d’éduquer, d’apprendre aux autres, de transmettre une instruction, un enseignement et une éducation, est fondamentale, qu’elle devrait, si on se hasarde à faire un peu de politique, être mieux valorisée, mieux appréciée et mieux récompensée dans notre société au sommet de laquelle trônent trop exclusivement start-ups, promoteurs, cabinets de conseil et, allusion à une actualité récente, animateurs de talk-shows.
Car, si vous n’êtes pas vous-même institutrice ou professeur, pas plus d’ailleurs que je ne le suis bien que j’ai beaucoup et longtemps professé, tout comme vous avez été formatrice à la DGFIP et avec collaboré au CNFPT, vous avez su mettre en place les conditions nécessaires afin que des milliers d’enseignants aillent, avec un environnement approprié, nominativement à distance, mais, en réalité, par écran ou enveloppe de papier kraft interposé, au-devant des dizaines de milliers d’élèves qui ont besoin d’eux.
En cela votre action a été décisive, votre travail utile, vos talents indispensables. Vous avez su aux côtés des directeurs généraux successifs de l’établissement, je pense notamment à Michel Reverchon-Billot sous l’empire duquel vous avez accompli l’essentiel de ce qui va devenir un bilan « globalement positif », avec l’aide et le soutien de l’ensemble vos collègues, assurer la « matérielle » et la vie quotidienne de ce segment si particulier de notre école publique, laïque, gratuite et obligatoire.
Il y a un peu plus de deux cents ans, un jeune officier savoyard, Xavier de Maistre, parce qu’il avait été mis aux arrêts pendant 44 jours pour avoir provoqué un camarade en duel, rédigea un petit livre, léger, spirituel, bien oublié aujourd’hui. Son « Voyage autour de ma chambre » fut à l’époque un succès. Il reflétait les limites physiques de la condition humaine d’un homme enfermé, malade ou prisonnier où le rêve, l’imagination et la mémoire demeuraient les seules possibilités d’évasion.
En dehors de effets de la récente pandémie que nous avons tous subie, vous n’avez encouru, Madame la Secrétaire Générale, chère Céline Blugeon, aucune condamnation qui vous ait contrainte à garder la chambre, ni même, alors que vous n’ayez jamais compté vos heures, à rester confinée dans votre bureau. En outre, ce n’est pas totalement négligeable, je m’empresse de le préciser, vous n’avez pas défié pour un duel ni l’agent comptable pour les recettes qu’il ne recouvre pas, ni le représentant de la DEGESCO pour les crédits qu’ils ne nous accorde pas .
Non, c’est de votre plein gré, en toute liberté, par un choix de l’esprit et du cœur, que vous êtes restée fidèle à votre terre natale, contrairement à votre frère parti fréquenter les hautes sphères de la rue de Grenelle, que vous n’avez jamais quitté votre Poitou, si discrètement et si profondément français, que vous avez gardé ce lien charnel de l’esprit et du cœur qui vous rattache, par-delà les siècles, à Descartes, à Richelieu, à Du Bellay, à Rabelais, autrement dit à la raison, à l’ordre, à l’élégance et à la gaîté, éléments constituants de notre identité hexagonale et de personnalité votre singulière. Vous reconnaitrez qu’il est de pires parrainages que quelques noms célèbres que je viens de citer pour intégrer un ordre de chevalerie national créé en 1808 par l’Empereur Napoléon au seul profit de l’Université, et étendu par la suite, en 1955, de manière parfaitement républicaine, à l’ensemble du monde de l’éducation grâce au sémillant et zézéyant Edgar Faure,.
Car ce qui frappe, en effet, dans votre parcours, c’est que vous êtes une fidèle enfant de la Vienne, des plaines et des bocages de Vivonne plus exactement, localité dont les habitants veillent sur la prononciation peu prévisible du nom et qui reste davantage connue pour ses 92 mares et ses quatre rivières – le Clain, la Vonne, le Palais et la Clouère – que pour ses boîtes de nuit et ses centres de recherche, mais où la chronique dit que Ravaillac aurait reçu de Dieu l’ordre de tuer Henri IV.
C’est pourtant pacifiquement, sans assassiner François Mitterrand ou Jacques Chirac, que vous passerez un bac scientifique à Poitiers en 1993, un Deug de droit public encore à Poitiers en 1996, une licence d’administration publique à l’Institut de Préparation à l’Administration Générale, devenu centre international de management public, toujours à Poitiers en 1997. C’est bien simple pour un peu je vous confondrais volontiers avec Charles Martel, Saint Hilaire, Alain Clayes ou, pourquoi pas, Jean-Pierre Raffarin, autres figures tutélaires de la « Ville aux cent clochers ».
En 1998, vous affrontez un concours de la fonction publique, le passage de ces épreuves notées, difficiles, anonymes, qui font la grandeur de la méritocratie française et l’honneur des serviteurs des collectivités publiques. Vous réussissez brillamment celui d’inspecteur du Trésor Public. Une victoire pour Céline Blugeon certainement, une aubaine pour le corps que vous rejoignez assurément !
Mais un drame survient. Pendant les deux années qui vont suivre, votre formation d’inspecteur à l’école nationale du trésor vous entraîne à Noisiel en Seine-et-Marne. Terrible exil qui ne va heureusement pas durer. Dès votre sortie de l’école, vous vous rapprochez de votre terroir d’élection au prix d’une insertion résolue dans la ruralité profonde. Elle ne vous fait pas peur. Indiscutablement, vous l’abordez par son volet le plus « authentique ». De 2000 à 2005, vous allez ainsi occuper l’emploi de chef de poste de la trésorerie d’Ardentes, 3850 habitants, sur les rives de l’Indre, où vous suivez, dès votre nomination, avec une petite équipe de trois agents, pas moins de 46 budgets. Le travail ne rebute pas.
De 2005 à 2009, c’est le grand retour au pays natal. Vous êtes nommée adjointe au chef de poste de la recette/perception de Saint-Georges-de-Baillargeaux, 4233 habitants quand même, une sorte de métropole par rapport à votre poste précédent, dans ce département de la Vienne que vous ne quitterez désormais plus. Vous y gérez 70 budgets et en pilotez également la dette publique sous la férule de votre chef de poste.
Cet apprentissage va vous être favorable, car, dans cette nouvelle affectation, vous allez toucher à tout ce qui fera désormais l’ordinaire de votre métier : vie des collectivités locales, gestion du logement et encadrement éducation avec quoi vous allez avoir un premier contact qui ne vous en dégoûtera pas.
Vous assurerez, en effet, de 2006 à 2008, la fonction d’agent comptable du lycée agricole Grand-Pont de Chasseneuil-du-Poitou. Puis, de 2009 à 2011, vous devenez l’adjointe du chef de poste de Logiparc. Outre la gestion et le management d’une équipe de 14 personnes, vous mettez en place des outils de suivi et d’indicateurs de recouvrement. Déjà, vous participez au comité de direction de l’établissement et contribuez à l’action stratégique du développement de cet office public HLM de Poitiers. Comme élu local, maire d’une commune de 15.000 habitants, je sais l’aide que peuvent apporter aux municipalités les agents des recettes-perception et l’expérience humaine que ces postes ont dû vous permettre d’acquérir.
En 2011, vous êtes nommée responsable d’un de ces centres des finances publiques que, aujourd’hui, on ferme à tort un peu partout. Gencay, dans la Vienne, 1746 habitants, vous attend. Vous y aurez la responsabilité de suivre 90 budgets communaux, communautaires, syndicaux ainsi que celui d’un EHPAD. Vous apportez, là aussi, appui et conseil aux élus en matière fiscale, mais aussi réglementaire, notamment sur les marchés publics, et budgétaire avec des analyses financières prospectives. Combien de localités qui n’avaient pas la taille de Lille ou Marseille avez-vous empêché d’aller vers un désastre, séduites par un emprunt toxique en yens indexé sur un mélange exotique de francs suisses et de pesos mexicains. C’est bien simple, Jean sans Terre doit se retourner dans sa tombe, regrettant de ne pas avoir entraîné vos ancêtres vers la perfide Albion. Vous auriez pu utilement conseiller Liz Truss au 10, Downing Street, lui évitant de ne rester Premier ministre que 44 jours. Ce sont donc des maires, toujours âgés, parfois très âgés, souvent des hommes, généralement des agriculteurs que vous avez épaulés. De cet attelage, vous gardez, je crois, des souvenirs pittoresques, pour ne pas dire picaresques
En parallèle à ces tâches prenantes, certainement parce que vous n’êtes pas suffisamment occupée, vous assurez la mission d’agent comptable du lycée Kyoto de Poitiers, placé sous la double tutelle de l’Éducation nationale et, comme pour votre première expérience dans ce secteur, de l’agriculture. Vous y suivez la comptabilité M9, notre Bible, mettez en place la réforme de la comptabilisation des actifs et des passifs et participez à la fusion de ce lycée agricole avec un lycée hôtelier.
J’ajoute également qu’en 2013, succès de plus, vous réussissez l’examen professionnel d’inspecteur divisionnaire de classe normale, dans la filière encadrement des finances publiques.
Saint-Georges-de-Baillargeaux ou Gencay, je ne sais si c’est là que vous avez, comme le faisait chaque après-midi la Queen Mother, la reine Mary, défunte mère de la défunte reine Élisabeth, découvert les vertus du Gin Tonic, cette boisson qui, selon Churchill sauva plus d’âmes et de vies anglaises que l’ensemble des médecins de l’Empire britannique, et dont vous n’usez qu’avec modération m’a certifié votre collègue Jean-Michel Leclerq.
Pour autant, votre enracinement, j’y reviens, n’a jamais été un enfermement. De votre chambre viennoise, au sens où l’entend Pascal, depuis chacun de ces points marquant la présence d’un service public qui font naguère repère pour la population et sécurité pour la Nation, vous avez organisé, entretenu, maîtrisé un rapport quotidien avec le vaste monde des usagers et des administrés.
Miracle de la technique, ordinateur, réseaux, communication, qui n’abolit pas l’espace, mais qui le traverse, qui le transcende, qui n’en fait plus un obstacle à la libre communication du savoir, des idées et des cultures, mais la grande route de nos messages et de nos correspondances. Miracle surtout d’une fonctionnaire loyale ayant lu aussi bien les chapitres fixant de ses « devoirs » que les articles énonçant ses « droits » dans l’épais code général qui la régit.
En 2015, c’est votre jour, c’est notre jour de gloire : vous rejoignez, non pas le Futuroscope, mais à quelques centaines de mètres le CNED. Moins de manèges. Plus de problèmes. Je ne sais si c’est parce que vous avez appris que j’allais en présider le conseil d’administration. On me dit que cela n’aurait rien à voir. Hélas ! Inversement, j’espère que vous n’en partez pas parce que, pour ce faire, un nouveau mandat m’a été accordé par le bon Ministre. Pour vous retenir, je suis prêt à promettre de ne plus changer les dates de nos conseils moins de 48 heures avant qu’ils se tiennent, mais je sens bien qu’il est trop tard…
Vous serez notre directrice des affaires financières à un moment où nous ne roulons pas sur l’or et participerez à notre redressement. Vous allez y animer quatre pôles : élaboration et suivi du budget / suivi de la masse salariale / recettes / gestion des frais de mission. Après avoir défini la marge de manœuvre dans laquelle s’inscrit l’action, vous avez la charge de l’exécution de la stratégie budgétaire de l’établissement sous la houlette toujours exigeante, invariablement bienveillante, des directeurs généraux. Discipline et hiérarchie, qui en douterait, font la force de notre service public. Vous en approuvez les règles !
Attentive et bienveillante, vous aimez valoriser vos collaborateurs et vous nouez avec vos équipes des liens solides. Il est important dans vos fonctions d’être humain. Nos collègues ne sont pas assez payés et considérés pour qu’ils viennent au travail en traînant les pieds. Pour les motiver, vous n’hésitez pas à leur faire visiter, tous ensemble, les grottes de Poitiers en mode spéléologie. C’est dire si vous savez sacrifier à la fois au team building et à l’underground.
Cela met en exergue votre habileté à créer une véritable cohésion parmi vos troupes, mais c’est l’occasion aussi de rappeler que nous avons devant nous une mère de quatre enfants sportive, adepte de la randonnée, du ski, du vélo et me dit-on du kayak, monde très masculin dans lequel vous susciteriez un certain émoi, c’est une information que je n’ai pas vérifiée et que m’a donnée avec une certaine délectation le directeur de cabinet, quand vous vous débarrassez en un temps record de votre combinaison en néoprène.
Depuis septembre 2018, vous occupez donc le poste de secrétaire générale et participez à la mise en œuvre de la politique de l’établissement et notamment de sa gestion RH, financière, juridique, immobilière, des systèmes d‘information, de la performance et de la qualité.
Membre du comité de direction restreint, vous animez fonctionnellement les 8 unités opérationnelles du CNED et participez au dialogue social notamment lors des différentes instances que sont le CHSCT ou le CTE.
En lien avec les métiers et la tutelle, vous mettez en place et suivez plusieurs schémas directeurs tels que celui des systèmes d’information, qui nous est essentiel, ou de la stratégie immobilière qui est légèrement piégeux.
Le progrès a relativisé les notions si longtemps figées et supposées antithétiques du loin et du près, du présentiel et du distanciel, pour reprendre ces deux mots avec lesquels, d’un mal résultant un bien, la pandémie que l’on sait a familiarisé le plus vaste public, en lui faisant prendre pleinement conscience de l’existence, de l’omniprésence, de l’irremplaçabilité des instruments qu’une évolution récente met à notre disposition et que le CNED peut offrir à ses usagers.
Grâce aux services que vous avez dirigés, les « paroles gelées » qui sidérèrent Pantagruel et ses compagnons de voyage sont devenues une réalité que nous mettons au service de nos élèves et des générations nouvelles.
De cette évolution, vous avez été, chère Cécile Blugeon, à votre poste, à votre place, pendant toutes ces années, un observateur ou une observatrice privilégié(e) et un acteur (ou une actrice ?) actif, infatigable, essentiel.
J’ajoute que votre engagement déterminé pour notre établissement s’est accompagné d’une véritable expertise et d’une hauteur de vue des plus appréciables et dont avons bénéficié. Je l’affirme : femme de méthode et de discernement, sachant allier détermination et qualités humaines, vous avez apporté au comité de direction, un appui déterminant dans les nombreux dossiers traités.
Il me faut conclure et, à cet instant, pour frapper les esprits, résumer votre brillante carrière, en quelques chiffres et faits édifiants. Les voici : depuis votre formation initiale en droit et administration publics, vous avez occupé cinq postes de direction au sein du ministère de l’Économie et des Finances et avez participé à la mise en œuvre de multiples politiques publiques au profit de rien mois qu’une demi-douzaine de ministères qu’il s’agisse de l’égalité des territoires, du logement, des finances, de l’Agriculture, de l’Éducation nationale et de la Jeunesse.
Un codicille à ce discours, si vous me le permettez. Juste avant de vous « épingler », avant que le CNED et vous, dans les heures qui viennent, vous vous quittiez, je tiens personnellement à vous adresser mes remerciements. Vous avez bien mérité de ces élèves à qui nous avons la charge, le devoir et l’honneur de transmettre l’héritage éducatif que nous avons reçu de nos pères, qu’il leur revient de gérer, d’enrichir et qu’il leur faudra léguer à leur tour.
Vous allez nous quitter. Je sais que, là où vous irez, vous porterez haut les valeurs de service public qui ont toujours guidé votre parcours professionnel. Vos pas vous conduisent aujourd’hui vers un voisin : le Grand Poitiers. Je ne doute pas que certains d’entre nous pourrons vous croiser sur votre futur vélo de service, dans les rues du centre-ville !
C’est donc avec un grand plaisir que :
Céline Blugeon, Secrétaire Général du Centre National de l’Enseignement à Distance, au nom du ministre de l’Éducation nationale, nous vous faisons chevalier dans l’ordre des Palmes Académiques.
7
SEPT
2022
Discours de Marc-Antoine JAMET
Maire et Conseiller Départemental de Val-de-Reuil
Obsèques de Hervé LOFIDI, Champion de France des Lourds-Légers/Ceinture WBC Francophone
6 septembre 2022 à 15h00
Cimetière de Val-de-Reuil
Chers amis, réunis ici si nombreux, il est rare que, revêtu de l’écharpe tricolore, j’aille à un enterrement. Plus exceptionnel encore que, pour y assister, je me rende dans notre cimetière. Ces cérémonies sont celles de la tristesse et du chagrin. Elles appartiennent aux familles. La décence, la dignité, le deuil commandent de respecter l’intimité de ceux qui ont perdu un proche. Leur épreuve est celle de l’absence et de la douleur.
Mais il fallait que je sois là avec vous, aujourd’hui, avec les parents de Hervé Lofidi, avec ses proches et ses amis. Je prends la parole parce que ses frères, Yves et Éric, m’ont demandé de dire quelques mots. Ils n’enlèveront pas la peine. Ils ne feront pas reculer la douleur. Ils ne parviendront pas à vaincre la mort. Ils sont impuissants à faire tout cela. Ils sont vains. Ils sont faibles. Ils sont humains. Or, ce qui nous réunit devant ce cercueil est de l’ordre de l’irrémédiable et de l’indicible. Cet hommage, votre présence, ma voix, ne peuvent donc être davantage que le témoignage du respect et de l’amitié que nous avions, avec l’ensemble de mes collègues du conseil, beaucoup étant présents, pour Hervé et pour son parcours exceptionnel.
Disant cela, je ne suis toujours pas certain que mon discours soit nécessaire, soit utile pour construire la légende de Hervé Lofidi. Il n’est point besoin, me semble-t-il, que je parle pour que son visage nous apparaisse. Le sillon qu’il creusera sur notre Terre, il l’a tracé lui-même. De son vivant. Par les souvenirs qu’il nous a donnés, par la mémoire que nous avons de lui, de ses exploits sportifs, de son exemple. Un grand champion laisse derrière lui une empreinte exceptionnelle. Il était un très grand champion.
Néanmoins, une Ville jeune comme la nôtre, je vous vois très nombreux à avoir moins de trente ans, a besoin de héros. Hervé Lofidi était un de nos héros, un de nos premiers héros, un héros à notre image, un héros qui nous ressemble, un héros qui nous a permis de dessiner l’image de notre cité. C’est pourquoi Val-de-Reuil, à l’instant de sa disparition, doit remercier Hervé Lofidi, lui payer le tribut, comme disent les Anglais, qu’elle lui doit. C’est Homère qui raconta dans l’Illiade comment Achille éleva le tombeau de Patrocle, son ami, son presque frère. Autour de Hervé, nous sommes tous des petits Achille tristes et effrayés par son départ brutal.
Dans notre histoire collective, dans notre imaginaire, Hervé Lofidi était entré par la grande porte, par la force de ses victoires, par la grandeur de ses combats. Tous ici nous admirions le boxeur. Après le basket et le football dans nos clubs, il avait choisi les arts martiaux et la boxe-thaï qu’il avait pratiquée avec une autre figure de notre ville, une autre silhouette connue des Rolivalois, avec Neth. Qui se ressemble s’assemble. C’est à 25 ans que la boxe anglaise, le noble art celui de Georges Carpentier, de Marcel Cerdan, de Jean-Claude Bouttier, celui de Fabrice Benichou, des frères Tiozzo, de Brahim Asloum, celui des Gentlemen du Ring, celui des grands, l’avait séduit et envahi. Il allait désormais vivre et combattre selon les règles du Marquis de Queensberry.
Comme il était un homme exceptionnel, son parcours fût dans cette discipline exceptionnel. Par sa rapidité. Par sa clarté. Par sa qualité. Champion de Normandie après un an seulement, boxeur professionnel en 2016, Champion de France en 2018, classé dans les 15 premiers de la WBC immédiatement après et titulaire de la ceinture WBC francophone. Beaucoup d’entre vous, et je reconnais vos visages, l’ont suivi à Paris, à Amiens, à Levallois-Perret pour le soutenir et l’admirer. Moi aussi. A bon droit, il avait été surnommé « l’artiste ». C’est un titre qu’il méritait parce qu’il était digne et solide dans la défaite, car il en avait connu quelques-unes ce qui ne le rend que plus remarquable et plus humain, mais il était rayonnant, bien que modeste, mesuré et calme dans la victoire. Un grand, un très grand, un très très grand champion, vous dis-je…
Trois mots le caractérisaient : l’élégance, le courage, la solidarité. L’élégance parce que, au punch, il ajoutait du style. Peu de gens ont du punch ou style. C’est souvent alternatif. Lui avait et du punch et du style. Dans la vie comme sur le ring. Du courage, parce que la boxe est une dure école, une vie de sacrifices. Hervé Lofidi ne le niait pas et il citait son père : « c’est celui qui en veut le plus qui va le plus loin ». Dans le monde qui peut être âpre et cruel des sports de combat, tous ceux qui l’entouraient, entraîneurs, arbitres, certains qui l’ont encore visité il y a peu de temps à l’hôpital, partenaires, promoteurs et je songe à Malamine Koné, estimaient Hervé Lofidi. Il est rare d’être apprécié lorsqu’on est un champion. On est aimé, on est admiré, on est adulé… et jalousé. Mais être apprécié, c’est autre chose. Il faut être aussi être considéré et jugé comme un grand homme. Il l’était. La générosité parce que nous sommes beaucoup à nous souvenir de ce repas qu’il avait offert à tous les jeunes qui l’avaient accompagné, de round en round, de salle en salle, et qu’il avait rassemblé autour de lui au jardin des animaux fantastiques pour les remercier. C’était un grand seigneur.
Cependant Hervé Lofidi n’était pas seulement un sportif. Son corps d’athlète était exceptionnel, mais ses muscles étaient dirigés par une âme, par un esprit, par une pensée. Il avait, ce qui n’est pas toujours donné à une seule et même personne, une très grande beauté, je peux le dire sans ambiguïté, un physique qui rappelait celui des statues classiques, mais il avait également une très grande intelligence et une belle sensibilité. Il possédait à la fois le charisme qui faisait qu’on le suivait et le charme qui faisait qu’on demeurait avec lui. Je l’ai éprouvé : tous les deux, nous avions de l’amitié, de l’estime et de la compréhension l’un pour l’autre. Oui, vraiment, j’espère que nous avons partagé ces sentiments. Il était brillant. Il était solaire. Cette dimension explique qu’il était aimé ici, mais aussi à Louviers où il avait fait ses études, à Canteleu où il s’était entraîné, à Rouen où il avait vécu et à Paris. A vrai dire, Hervé Lofidi était aimé partout où il passait. Les éloges funèbres que nous avons lus dans la presse et jusque dans L’Équipe. les réactions qu’ont pu avoir de nombreuses personnalités, en portent la preuve.
Connu et reconnu un peu partout, cet athlète était d’abord et avant tout un enfant de la ville. Il y était arrivé à l’âge d’un an. Certains se souviennent qu’il était le plus petit de sa fratrie, si bien qu’il était encore appelé « Baby » par les siens longtemps après qu’il était déjà adulte. Il avait connu l’école Coluche où il commença sa scolarité. Il avait connu la dalle, la gare, nos gymnases, nos rues. Il était comme beaucoup de jeunes Rolivalois et c’est pour cela que vous avez tenu à lui dire adieu. Parce qu’il était comme nous, parce qu’il était comme vous, il avait gagné le droit, par son exemple et par sa destinée, d’être un modèle pour une génération.
Une part de lui, et c’est ainsi que je voudrais conclure, est moins connue. Elle n’en est pas moins remarquable. Permettez-moi d’en parler. Hervé Lofidi n’était pas un sportif comme on en voit de plus en plus sur les terrains de football professionnels, insensibles à ce qu’il se passe autour d’eux, tournés vers les médias, les réseaux sociaux ou le chèque que leur victoire va leur permettre d’obtenir. Si Hervé Lofidi était un sportif et un homme, je l’ai rappelé, il était aussi un citoyen, engagé pour le respect des droits de tous, quels que soient son parcours, son origine, ses opinions et sa race. Aux dernières élections municipales, c’est ainsi qu’il avait rejoint notre liste pour s’opposer aux tenants du Rassemblement National dont il mesurait la capacité de nuisance et les ravages y compris dans la jeunesse. Il s’était placé en dernière place avec une idée qu’il m’avait confiée : « si les jeunes de la ville veulent que je sois élu, il faudra qu’ils viennent en masse puisque que je suis le dernier. C’est pour cela que je choisis cette place ». Au nom des mêmes valeurs, il avait déploré et dénoncé les tensions imbéciles qui avaient pu agiter Val-de-Reuil à l’automne dernier. Sa voix pour en condamner les meneurs et les profiteurs à ce moment avait été forte. C’était la voix du bon sens, la voix de la modération, la voix d’un homme qui avait plus de sagesse que ce que son âge aurait dû lui donner. Cette voix avait retenti pour alerter chacun du mal qu’il faisait à notre communauté en se comportant n’importe comment. On se bat sur un ring. Pas dans la rue. Alors qu’il il aurait pu penser à lui-même, à sa réussite, Hervé Lofidi pensait à préserver sa Ville et à protéger ceux qui l’entouraient.
Je veux évoquer notre dernière rencontre. Ce n’était pas moi qui étais allé vers lui, mais lui qui était venu vers moi. Fatigué, affaibli, transformé. J’en ai presque honte. Nous nous étions rencontrés en mairie, mais il n’avait pas pu monter au premier étage, dans mon bureau. Ses forces le trahissaient. Il ne pouvait pas monter les escaliers Nous avions dû rester au rez-de-chaussée, à l’état-civil, là où on déclare les naissances et les décès. C’était hélas prémonitoire. Ce jour-là, comme d’habitude, il ne venait pas parler de lui. Il voulait parler des jeunes, des autres. Il souhaitait mener une action de civisme, de prévention, d’incitation au travail comme, m’a-t-il dit, son père le lui avait appris. En l’écoutant me dire qu’il fallait montrer le droit chemin à tous, je me demandais lequel d’entre nous, frappé par la même maladie, par la même souffrance, aurait eu cet altruisme, cette façon désintéressée et sincère de penser aux autres. A la place d’Hervé Lofidi, nous aurions probablement songé à nous-mêmes. Lui, il pensait à nous. Il pressentait sa fin et, pourtant, il regardait l’avenir. C’est une immense leçon.
Nous n’avons eu par la suite qu’un ou deux échanges téléphoniques. C’est Eric, son frère aimant, tout comme Yves, lui aussi son aîné, qui m’a tenu au courant de l’aggravation de l’état de santé de Hervé, jusqu’à cet appel, voici 8 jours, où il m’a appris qu’il était au plus mal, que la fin était proche, qu’il voulait être enterré et pleuré à Val-de-Reuil. Fidélité. Loyauté. Dignité.
Je vous l’ai dit : la mort est toujours cruelle. C’est la vérité. Elle nous prive de ceux que nous aimons. Elle nous laisse désemparés. Il faut penser d’abord au désespoir de la famille de celui qui nous a quittés, à la peine de ses amis. Je pense particulièrement à la petite fille venue avec lui un jour aux vœux de la municipalité. À 34 ans, la mort n’est pas simplement cruelle. Elle est injuste. C’est pourquoi, devant sa tombe, nous avons un devoir collectif, celui de faire que Hervé Lofidi soit immortel. Il ne peut l’être que dans nos yeux, que dans nos cœurs, que dans notre amitié. Alors conjuguons tous nos sentiments cet après-midi pour lui dire : « Adieu Champion, adieu l’artiste, adieu Hervé Lofidi. J’espère que là-haut, sur un grand ring blanc, tu as retrouvé Cassius Clay, Mohamed Ali, et que, ensemble, vous vous entraînez, vous vous entraidez. Adieu ! ».
22
AVR
2022
Madame, Monsieur, Chers concitoyens,
Je veux avant toute chose vous remercier pour les résultats obtenus à Val-de-Reuil au premier tour de cette élection présidentielle, ce scrutin si important pour notre démocratie, ce vote qui ne revient que tous les cinq ans et qui ne demande pour être exercé que cinq minutes à chaque citoyen.
Vous remercier, mais aussi, si vous le voulez bien, vous sensibiliser à trois des enjeux de ce deuxième tour, aux conséquences qu’ils auront pour notre vie quotidienne, pour l’avenir de nos enfants, pour le développement de notre commune. Vous les connaissez, vous en êtes informés, vous vous déterminerez évidemment seuls, en votre âme et conscience, mais, comme votre Maire, celui à qui vous faites confiance pour gérer et faire progresser Val-de-Reuil, je veux, par ce courrier, ainsi que l’a établi entre nous une tradition désormais ancienne, y insister. Je n’ai qu’un seul but : que nous soyons plus nombreux encore à nous rendre aux urnes, dans un des six bureaux de vote qui, dans les écoles rolivaloises, seront ouverts de 8 heures à 19 heures, dimanche 24 avril.
Vous remercier donc et d’abord de vous être déplacés pour aller voter en masse, en foule, au premier tour de l’élection présidentielle, comme vous l’aviez fait aux dernières municipales et, l’année dernière également, aux départementales, comblant ainsi une partie du déficit de participation, de citoyenneté, que nous subissions par rapport à nos voisins et, plus encore, par comparaison la moyenne nationale. Dans la matinée, c’est tout juste si nous avons pu faire face, par la mobilisation des assesseurs et la compétence des fonctionnaires municipaux à votre enthousiasme. C’est un changement essentiel dans nos habitudes collectives. Restons sur cette belle tendance. Grâce à vous, grâce aux quelques instants que nous avons consacrés dimanche 10 avril à notre devoir électoral, nous avons évité les commentaires désagréables qui faisaient de nous, en Normandie, les mauvais élèves de la classe, des gens indifférents à leur sort, la lanterne rouge de l’abstention. A mon poste, toute la journée, avec mes collègues élus, nous avons vu des familles venir, ensemble, déposer un bulletin dans l’urne, de nombreux « premiers votants », âgés de 18 ans, certains, plus âgés ou découragés, qui ne s’intéressaient plus à la politique, et qui, pourtant, ne pouvaient rester silencieux au moment de décider de qui nous gouvernera jusqu’en 2027. Suivons leur exemple. Déjà, je vous l’assure, les analyses des journaux se sont faites moins cruelles, les observateurs moins condescendants, les critiques à notre encontre moins virulentes. On nous écoute. On nous voit. On nous respecte. C’est une victoire collective. Encore un effort, nous n’avons fait que la moitié du chemin ! Je le répète : voter nous donne une force exceptionnelle pour attirer, négocier, obtenir, des subventions, des emplois, des investissements. De notre conduite individuelle dépend le bien-être commun. Notre sort est entre nos mains. Aidons-nous. Aidez-vous.
Vous remercier aussi d’avoir fait reculer l’extrême-droite par rapport à 2017, de ne pas vous être laissés entraîner par la vague brune qui a déferlé sur l’Eure et qui correspond si peu, non seulement à nos valeurs républicaines, celles qui font la France, mais aussi aux réalités de notre vie quotidienne. Nul ne peut dire que, entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, le programme sera le même, notre pays identique, les choix indifférents. C’est de vous que dépendra notre avenir. Votre décision comptera. Pour les droits et les libertés, celles qui garantissent toutes les opinions, celles qui font de tous les Français des femmes et des hommes libres et égaux quel que soit leur origine, leur sexe, leur religion. Pour notre économie, notre croissance et notre protection sociale que l’endettement, l’isolement européen et l’incompétence des héritiers de Jean-Marie Le Pen viendraient mettre à mal. Pour notre Ville plus particulièrement puisque le programme de la candidate d’extrême droite ne prévoit rien pour le renouvellement urbain, rien pour le pouvoir d’achat des salariés, rien pour le logement des propriétaires ou des locataires.
C’est un exercice de salubrité publique : en Normandie, le Rassemblement National a vu son leader et nombre de ses cadres rejoindre la petite bande ouvertement raciste qui entourait le candidat Éric Zemmour ; dans l’Eure, pas un des représentants de cette formation ne fait, depuis des années, entendre sa voix, ne fait la moindre proposition, en clair ne travaille et ils sont si transparents que nous serions bien en peine de mettre un nom ou un visage sur leurs idées ; dans notre commune, enfin, ce serait conforter de manière absurde l’élu ténébreux, misanthrope et solitaire qui, perdu dans des discours brumeux, les références à Vichy et la nostalgie du « bon vieux temps des colonies », incarne dans l’excès, parfois dans le ridicule, ce courant dépassé à Val-de-Reuil. Au nom de notre « vivre-ensemble », cette expérience utile pour la sécurité et la laïcité qui fait la singularité et l’exemplarité de Val-de-Reuil, cette orientation humaine et bienveillante à laquelle je crois, mais qui reste fragile, nous ne pouvons pas accepter qu’un seul bulletin ne se dirige, à Val-de-Reuil, vers Marine Le Pen. Il y en aura, mais ils seront l’erreur, comme ses joueurs qui marquent contre leur camp et font perdre leur équipe.
Vous remercier enfin d’avoir gardé notre Ville à Gauche, puisqu’il est manifeste que les voix écologistes et socialistes, qui forment une majorité solide dans notre Ville, se sont très largement dirigées vers Jean-Luc Mélenchon. Je suis lucide : il ne s’agissait pas d’un simple témoignage, mais de la volonté de qualifier ce candidat, les espoirs qu’il entraînait, les propositions qu’il faisait, au second tour de l’élection. Je le comprends. Il s’en est fallu de peu que cette stratégie réussisse. Pour autant, faut-il maintenant attendre les législatives, voter blanc ou rester chez soi. Non, car le retrait des électeurs de Gauche signifierait que, en République, tout se vaut, que Marine Le Pen serait en tête à Val-de-Reuil. Voulons-nous vivre dans une Ville que le Rassemblement National aurait gagnée ? Voulons-nous rejoindre Fréjus et Hénin-Beaumont dans l’outrance, la faillite et la honte ? Pensons-nous que la Guerre en Ukraine, à nos portes, est un « détail de l’Histoire » et que Vladimir Poutine est un sympathique dictateur ? Accepterions-nous que la futur présidente, si elle était élue, parade à Paris avec les Premiers Ministres polonais ou hongrois populistes, homophobes, opposés au droit à l’avortement comme à la contraception, qui musèlent les libertés, les oppositions, les libertés dans leur pays.
Pour éviter cela, il n’y a pas cinquante solutions. Dimanche, sans accepter son programme, sans plébisciter sa personne, je voterai Emmanuel Macron pour faire barrage à Marine Le Pen. Je vous incite, de toutes mes forces, à faire de même en vous assurant de mon dévouement sans faille pour notre commune.
Marc-Antoine JAMET.
10
AVR
2022
Communiqué de Marc-Antoine Jamet,
Maire et conseiller départemental de Val-de-Reuil
J’appelle toutes les forces de Gauche et de progrès du département de l’Eure à voter massivement Emmanuel Macron pour battre Marine Le Pen.
Le grand gagnant de l’élection présidentielle à Val-de-Reuil reste l’abstention (38%), mais la Ville, comme lors des récentes consultations locales, confirme le redressement de sa participation relative et décroche moins, par rapport à 2017, que la moyenne nationale ou la moyenne départementale.
Sur près de 8000 inscrits, 4817 se sont déplacés vers les urnes contre 4918 il y a cinq ans. Les deux bureaux de vote (Léon Blum et Coluche) situés dans les quartiers qui abritent la proportion la plus importante de classes moyennes votent plus (70% environ) que les quartiers de centre-ville dont la population connaît une forte précarité, se rapprochant du taux de participation national.
Le scrutin marque le recul dans la commune des grands partis de Gouvernement à droite comme à gauche, prolongement du pari dangereux et à courte vue tenté par En Marche depuis cinq ans. Le score de Valérie Pécresse (1,65% et 78 votants…), très en retrait par rapport à celui de François Fillon (6,5%), vient confirmer, phénomène entamé il y a 20 ans, la quasi-disparition de la droite classique à Val-de-Reuil. Anne Hidalgo ne se classe que 4ème (3,50% et 165 votants), bien qu’elle enregistre dans la commune un score bien supérieur à son niveau national.
Le Président de la République, qui avait rassemblé 18,3% des suffrages en 2017, fait légèrement moins bien (18% et 849 votants), montrant une absence d’enracinement à la fois personnelle et partisane qui peut interroger ceux qui en sont les représentants locaux dans la circonscription comme à l’échelle du département et annonce les 12 et 19 juin des législatives plus incertaines qu’on ne le pensait.
En additionnant les voix qui se sont portées vers Marine Le Pen (24,6% soit 1160 voix), Éric Zemmour, qui, raciste et urbain n’a que peu séduit dans la Ville Nouvelle (3,2%) et Nicolas Dupont-Aignan (1,4%), on constate un très léger recul de l’extrême-droite (29% soit 1375 voix contre 30% soit 1438 électeurs il y a 5 ans), pourtant battue à plat de couture lors des récentes élections municipales où elle avait fait son plus mauvais score depuis 20 ans. L’extrême droite avait capté 30% des voix en 2017. On en peut en tirer un enseignement : plus on se rapproche du terrain où ses porte-paroles allient médiocrité et absentéisme, plus les résultats du Rassemblement National sont faibles ; plus il s’agit de consultations nationales, plus élevés sont ses scores.
La Gauche radicale qui réunit Fabien Roussel, Jean-Luc Mélenchon, Philippe Poutou et Nathalie Arthaud représente 43,64% avec 2057 voix contre 34% en 2017. L’essentiel de ce résultat est acquis par le leader de la France Insoumise (40,4%) qui réalise une percée importante reposant sur son équation personnelle et la priorité donnée par les électeurs de Gauche au vote utile plus que par son programme irréalisable et qui n’aurait trouvé aucune majorité.
Le courant écologiste réalise une réelle contre-performance puisque, malgré l’importance des dossiers environnementaux, notamment celui du contournement Est de Rouen, il ne parvient pas à mobiliser plus de 2,33% soit 100 voix.
Néanmoins, le bloc de Gauche, Gauche de Gouvernement et Gauche radicale, à Val-de-Reuil (50%), reste, en partie grâce à l’action de la municipalité, deux fois plus important que le bloc des droites (31%), droite républicaine et extrême droite. Cet équilibre n’est que très peu modifié si on ajoute les voix du Président sortant (18%) à celle de la droite.
Quoi qu’il en soit ces résultats ne peuvent appeler de ma part qu’une consigne de vote forte et claire, sans ambiguïté et sans contrepartie : battre l’extrême droite xénophobe, réactionnaire et incompétente, dont la cheffe de file s’est déclarée l’amie et l’alliée de Vladimir Poutine, en se mobilisant, plus nombreux qu’au premier tour, et en votant, massivement, pour éviter la ruine du pays et sa désagrégation, Emmanuel Macron. Il s’agit moins de sauver la démocratie qui résisterait peut-être à l’élection de Mme Le Pen, mais de préserver les valeurs de la République, liberté, égalité, fraternité, solidarité, laïcité qu’elle mettrait irrémédiablement à mal et la place de la France en Europe et dans le monde que, en ridiculisant notre pays et en l’isolant, elle compromettrait gravement et durablement.
Lucide sur ses qualités humaines et sur ses défauts politiques, je souhaite donc sincèrement la victoire du Président de la République sortant, en espérant qu’il comprendra enfin que c’est avec une autre majorité et une autre politique, plutôt qu’en s’appuyant sur la vieille droite, qu’il parviendra à regagner la confiance du camp du progrès et que ce n’est pas en détruisant, un à un, tous ses repères que la société française s’apaisera.
Le dimanche 24 avril 2022, je voterai pour Emmanuel Macron et j’appelle tous les socialistes du département et, au-delà, toutes les forces de Gauche à faire de même.Ce n’est pas en votant blanc ou en restant chez soi qu’on fait barrage à l’extrême droite. C’est en votant pour le Président de la République, pour le chef de l’État, pour Emmanuel Macron.