19
FEV
2016
Remise des insignes d’officier de la Légion d’Honneur
par M. Bernard CAZENEUVE, Ministre de l’Intérieur
Hôtel de Beauvau – Mercredi 10 février 2016 – 19 heures
Monsieur le Ministre,
Madame et Messieurs les Ministres, chère Ségolène, cher Harlem, cher Alain,
Monsieur l’Ambassadeur Suzuki, représentant en France du Japon que nous aimons,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires et les élus,
Mesdames et Messieurs, chers amis,
Cher Bernard Cazeneuve, les mots que vous avez prononcés m’ont fait évidemment plaisir. Il eut été cependant plus prudent de les accompagner de l’avertissement qui, d’ordinaire, précède les films dont les producteurs craignent les procès : « Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite ».
Une seconde précaution eût été non moins nécessaire. Modeste élu local, il m’est impossible d’aligner deux phrases à un micro entre Gisors, Alençon, Deauville et Saint-Clair-sur-Epte sans que celui qui me succède prévienne l’auditoire qu’il est « bien difficile de prendre la parole après le Maire de Val-de-Reuil ». A la longue, cette sentence prononcée avec des sincérités, des utilités et des spontanéités variables, m’est devenue insupportable. C’est pourtant la seule qui me vient à l’esprit à cet instant précis. Quand il s’est exprimé, sans davantage de notes que de caillou dans la bouche, il est « bien difficile de prendre la parole après Bernard Cazeneuve ». Il y a du Clémenceau, du Jaurès et du Gambetta dans ce ministre-là  ! Même privé de sa robe, on sent encore en lui l’avocat. Un ténor de barreau, un taureau du Palais, Gilles August ne me contredira pas.
Les conséquences de son éloquence sont dévastatrices. J’avais fignolé un discours. Il va paraître fade à côté de ses envolées. Au mardi-gras que nous fêtions joyeusement hier va succéder à la tribune le mercredi des cendres qui nous fait méditer tristement sur la vie. Même tarif, même liturgie, apprêtez-vous à vous ennuyer ferme après avoir tant ri. Je le sens bien Monsieur le Ministre : cet abondant public n’est venu que pour vous !
Je ne vous en remercie que davantage de nous consacrer un temps aussi considérable à la veille d’une opération de déchéance gouvernementale qui va créer quelques apatrides ministériels. Il est vrai qu’il est peu probable que le successeur de Gaston Defferre, de Paul Quilès, Pierre Joxe et Daniel Vaillant, (je passerai sous silence -ainsi que vous m’y avez fermement invité- le précédent Jules Moch), soit concerné. Bien qu’il vous soit arrivé, par le passé, de changer de portefeuille comme de chemise puisque, en trois ans vous aurez été européen, budgétaire et policier, fonctions essentielles à l’Etat, qualificatifs pas obligatoirement sympathiques pour l’opinion, il serait étrange que notre pays se prive d’un ministre dont le calme, la détermination et la compétence sont le premier rempart de notre sécurité.
Il n’empêche, cher Bernard, que ce portrait d’un homme paré de toutes les qualités (ou presque) brossé devant une assemblée subjuguée par ton éloquence anglo-normande, ton humour british, ton charme slave, ne cherchait pas la vérité. Voudrait-on une seule preuve de ce grossier travestissement ? Tu as noté avec ce que tu pensais être de la perspicacité que j’étais né à Saint-Mandé. En fait, mon berceau n’y est pas resté deux nuits avant de rejoindre Paris ! On voit, dès le début de ton propos, à quelles odieuses manipulations tu t’es livré sur ma personne alors qu’elle était à l’état vulnérable de nourrisson…
Tu revendiques des circonstances atténuantes. D’après ce que tu aurais déclaré lors de ta garde à vue, tu aurais puisé ton inspiration à deux sources également nobles, mais moins universelles : d’abord ta bienveillance et elle est grande à mon égard, ensuite le penchant quasi-professionnel que doit avoir le Ministre des Cultes pour la pratique de l’ésotérisme et la lecture des romans de science-fiction. Je ne suis, hélas, ni super, ni héros.
La République, tout en étant bonne fille, ne s’y est pas trompée. Si elle m’a attribué un peu d’honneur, sa Légion étant née un 19 mai comme moi, elle ne m’a jamais reconnu le moindre mérite à l’exception notable en raison de mes origines paysannes bien connues de celui, agricole, que valide le « poireau ». Ruban rouge oui, ruban bleu non. J’ai eu l’eau chaude. Pas l’eau froide. Mon revers est à moitié orphelin. Cette asymétrie aurait pu inquiéter ton cabinet. Mes fréquentations auraient dû être passées au peigne fin. Il n’en a rien été. Aucune assignation à résidence, ni bracelet électronique. Cette salle hétéroclite et coupable, forcément coupable, en témoigne. Seule Corinne Luquens, devant le Conseil Constitutionnel auquel elle vient d’être nommée, pourrait se porter garante de notre collectivité. Cela renforcerait encore la portée de sa présence parmi nous au premier soir de son mandat, mais ce geste altruiste en assombrirait irrémédiablement la suite. Qu’elle s’en exonère ! Je continue donc de tenir à ta disposition le nom des collaborateurs à l’origine de cette faille du renseignement intérieur dont tu pourrais utilement te séparer à l’exception de Gabriel Kunde, ton chef de cabinet, pour lequel je professe la plus grande amitié.
J’ajoute, plus sérieusement, que j’ai longtemps considéré que, seuls, pouvaient prétendre à cette distinction ceux qui, comme Hubert Ivanoff, que je salue, général de Légion Etrangère parfaitement recommandable puisque ne manifestant pas à Calais, ont pris la palmeraie de Faya-Largeau avec dix jeeps éreintées et emmené le 1er régiment étranger de cavalerie tremper, après Alexandre le Grand, ses étendards dans l‘Euphrate. Je n’ai commandé qu’un Groupement d’Instruction à Satory. Le front était assez loin.
Depuis un an, cette conviction n’a fait que se renforcer. L’hôtel de Beauvau y invite. Il y a à 10 mètres d’ici une petite pièce, un ancien fumoir. Il a été transformé depuis que notre Patrie est, de nouveau, frappé par des attentats en salle de crise. Là , on a pu entendre des noms dont bravoure et gloire sont l’écho. Le policier qui, le premier, se glisse sous le rideau de fer de l’hyper casher pour abattre Coulibaly ; le gendarme en patrouille qui blesse à la gorge un frère Kouachi ; le commissaire qui, seul avec son équipier de la BAC, neutralise un terroriste du Bataclan ; le fonctionnaire qui, une heure après, derrière un bouclier Ramsès, prendra la tête de la colonne d’assaut ou ceux qui mèneront le siège de Saint-Denis. Comme tous ceux qui travaillent sous ton commandement déterminé pour assurer notre sécurité, ce sont eux d’abord, ce sont eux surtout vers qui doit se diriger notre admiration.
Il est un nom que je veux ici particulièrement citer. Je m’en suis fait la promesse. C’est celui du commissaire de police de Val-de-Reuil : Arnaud Beldon. Visitant la commune de Normandie dont je suis le Maire, vous l’avez installé, Monsieur le Ministre, dans ses responsabilités. Le 13 novembre dernier, allant à un concert à Paris avec son amie, la commissaire de Deauville, une balle de Kalachnikov est venue briser son corps. Il n’a pas 40 ans. Il est à l’hôpital Percy. Pour lui, la convalescence sera longue et la vie difficile. Gravement blessé, il a pourtant donné l’ordre à ceux qui l’entouraient de fuir et de le laisser. Qui peut se persuader qu’il aurait eu dans de pareilles circonstances une telle force d’âme ?
Je n’arrive pas à la cheville de ces hommes exceptionnels. Pourtant j’ai accepté cette distinction. Tout simplement parce qu’elle me remplissait de fierté et de joie et parce que, à ces émotions, se sont agrégés l’amitié, le souvenir, le respect.
D’abord l’amitié. Certains souhaiteraient-ils sont de moins en moins nombreux – que des ministres deviennent leurs amis. Il se trouve que plusieurs de mes amis – ils sont de plus en plus nombreux – sont devenus ministres. Jean-Vincent Placé est avec nous ce soir. Qui sait où il sera demain ?
J’ai vu ainsi Bernard Cazeneuve vivre la transfiguration gouvernementale, évangéliser le Parlement, gravir le chemin de croix des crises, monter au Golgotha des médias, sans cesser d’espérer la résurrection électorale, mais il l’a fait dans la foi à lui-même, à ses convictions, à sa personnalité.
Nous nous connaissons depuis 25 ans. Il est encore parmi nous alors que c’est en ce moment précis l’anniversaire de son fils. Ce n’est pas le moindre des sacrifices auxquels cette cérémonie le contraint. Nous aurions pu, dès l’origine, sur des choses essentielles, nous fâcher. Nous l’avons évité. Parce que c’était lui, parce que c’était moi. Il peut nous arriver d’être véhéments. Toujours sur des sujets importants ! Encore récemment, le Préfet de l’Eure, qui ignorait le fond de notre discussion, mais s’effrayait du tour et du ton qu’elle prenait, aurait pu y laisser casquette et épaulettes en nous voyant gesticuler et vitupérer dans son département. C’eut été injuste. René Bidal est humainement et professionnellement remarquable. Nous l’avons rassuré. Nous ne sommes jamais violents. Cela d’autant plus que la taille des gardes du corps qui entourent Bernard Cazeneuve ne peut qu’entraîner une adhésion spontanée à ses paroles et à ses actes. Monsieur le Ministre, vous serez toujours, sans préciser si j’y applique césure à l’hémistiche et orthographe reformée, mon Cherbourgeois préféré.
On sait que la reconnaissance est une maladie du chien non transmissible à l’homme. Faisons une exception. De cette médaille, autant si ce n’est plus que moi, vous êtes responsable et je suis votre éternel obligé. En trois mois, vous en avez fait instruire le dossier et, 40 jours après, vous me la remettez. Le lieu, la date, l’heure et l’organisation de cette cérémonie, en « premier flic de France », rien ne vous a échappé. J’espère qu’il n’y a pas là une raison cachée au maintien de l’Etat d’urgence dont Cécile Dufflot ne se serait pas encore emparée. Il est vrai que je vous avais alarmé en vous confiant qu’il m’a fallu dix-sept mois d’hésitations avant d’accepter d’être chevalier, quand le ministre de l’économie qui me le suggérait était grande, blonde et UMP ce qui, pardonnez-moi de vous le faire remarquer en public, n’est pas vraiment votre genre de beauté. Ce soir, je ne peux oublier Christine Lagarde dans mes remerciements.
Je n’irai pas plus loin de crainte de tomber dans le piège qui consiste pour le récipiendaire d’une décoration à refaire son propre éloge, puis à se lancer, de manière inopportune et désordonnée, dans celui de l’autorité qui la lui remet. L’Allemagne que vous avez toujours vénérée, j’en témoigne très personnellement, vous a rendu voici quinze jours un éloge complet et mérité. On s’y reportera sur les bons sites et dans la presse. Tout juste me contenterai-je, pour tempérer cet hommage à bon droit appuyé, de révéler que vous avez souffert dans votre prime et folle jeunesse de deux graves maladies psychiatriques puisque vous avez successivement été radical de Gauche et fabiusien. Je ne dirai rien de votre hollandisme aggravé…
J’ai parlé de souvenir. Trois personnes, pour elles, pour vous, pour moi, auraient été heureuses d’assister à cette réunion. Accordez-moi le privilège de les faire revivre un instant.
D’abord, ma grand-mère Elisabeth née en 1900. Pour nos promenades, elle avait inventé une géographie de Paris d’où ne surgissaient que des pâtisseries, des salons de thé, des marchands de bonbons. Le Louvre s’effaçait devant le Luxembourg. Le Génie de la Bastille disparaissait derrière les Buttes-Chaumont. Notre Hôtel de Ville, notre Arc-de-Triomphe, notre Tour Eiffel s’appelaient, déjà , Jardin d’Acclimatation. Je ne peux lui adresser qu’un reproche. Elle m’avait inscrit dans une école religieuse qui comptait 3 garçons pour 200 filles encadrés par une escadrille de bonnes soeurs. Le planning familial était défaillant au Cours Notre-Dame de France. Najat Valaud-Belkacem n’avait éclairé aucune de mes camarades sur la théorie du genre. J’ai donc subi très jeune le traumatisme d’être père de plusieurs dizaines de poupons en celluloïd. Mon goûter partait en pensions alimentaires à chaque récréation. Aujourd’hui cette vieille dame aurait mis un chapeau, poudré son visage et glissé, pour sécher ses larmes, un mouchoir dans son sac-à -main qui avait, c’était prémonitoire, la taille d’une malle Vuitton.
Ensuite, mon grand-père Claude né en 1910. Il avait trois passions, Homère qu’il traduisait chaque matin, les femmes qu’il fréquentait chaque après-midi, le socialisme auquel il consacrait le peu de temps que l’Iliade et le beau sexe lui laissaient. Ce n’est pas insulter sa mémoire d’athlète helléniste que de dire que ces deux premières préoccupations  l’une intellectuelle, l’autre physique, le fatiguaient quelque peu. Dans notre khâgne familiale, outre la dévotion à Saint Blum et Saint Jaurès, il m’a appris que le futile peut être utile, que le grec ancien préfère les luminosités aux couleurs, qu’il faut éviter d’écrire que les cheveux d’Achille sont blonds, mais, le sel et le soleil les ayant blanchis, affirmer qu’ils sont presque bleus comme ceux de Poséidon. Aujourd’hui, il aurait modifié sans regret la première déclinaison et, au grand dam de Felix Gaffiot, avec une certaine logique politique, osé enchaîner rosa, rosa, rosam, rosette.
Ma mère Françoise, enfin, née en 1936. Comédienne à la ville comme à la scène, elle vénérait dans un panthéon fatigant pour ses proches Dany Cohn-Bendit, Jack Lang, Bernard Tapie et Arlette Laguiller. Plus la côte du Président aurait été basse et plus elle l’aurait aimé. C’est dire qu’elle aurait été servie. Aujourd’hui, Monsieur le Ministre, malgré vos fonctions de temps à autres répressives, elle vous aurait pris en affection tentant de vous convaincre d’ériger votre administration, comme « son » Théâtre du Soleil, en coopérative ouvrière de production ou d’installer aux Tuileries une jungle de migrants. Je pense à elle chaque jour. Elle aurait l’âge d’être avec nous.
Le dernier sentiment est le respect. Je le dois à ceux pour qui j’ai travaillé et qui m’ont donné quelques-uns des outils qui pourraient expliquer cette dignité d’un soir. Le Préfet Aurousseau, qui avait été chef de cabinet de Michel Debré, selon les recettes duquel j’ai organisé des milliers de réunions, de cortèges, de plans de table et autres dispositifs de sécurité. Avec lui j’ai appris l’Etat. Je partage cet héritage avec mon vieil ami Philippe Klayman qui, ayant toujours la vocation préfectorale, garde le froc de directeur central des CRS. André Chandernagor qui me racontait comment il entrait dans les compétences du Ministre de la France d’Outre-Mer de veiller au bon état de la libido de Félix Houphouët-Boigny et de son épouse Suzanne ou pourquoi, si on voulait être réélu président du Conseil Général de la Creuse, il ne fallait pas refaire, heureux temps où l’abondance régnait, toutes les routes au même moment. Avec lui j’ai appris les collectivités locales. David Azema, que les conseillers-maître à cataracte prenaient, sans se préoccuper de nos état-civils, pour mon jumeau, s’en souvient certainement. Pierre Arpaillange dont on brocardait la faiblesse comme Garde des sceaux et qui taisait qu’il avait été résistant à 16 ans, engagé dans les forces françaises libres à 17. Avec lui j’ai appris la justice lorsque Nicolas Baverez et Denis Olivennes ne m’obligeaient pas à emprunter avec eux des chemins plus drôles et moins éclairés que ceux qui mènent vers la rue Cambon. Henri Emmanuelli qui me fit appliquer un plan social au PS, inventer quelques jongleries pour en sauver la trésorerie, mettre en place les premières primaires de la Gauche que je suis parvenu à lui faire perdre alors que je les organisais. Il m’apprit la politique. Je continue de beaucoup aimer cet homme généreux et m’inquiète pour sa santé. Laurent Fabius dont j’ai été, sans remise de peine, ni grâce présidentielle, pendant six ans le directeur de cabinet, poste sacrificiel puisque, pourvu d’une robuste constitution, l’ex actuel Ministre des Affaires Etrangères peut tout faire plus vite et mieux que les meilleures de ses recrues y compris modifier la température du globe en faisant, comme Joshué, reculer le soleil. Il m’a appris, sans que j’ai compris s’il s’agit d’une qualité ou d’un défaut, à l’imiter en bien des circonstances et m’a discrètement transmis un peu de ce qu’il avait lui-même retenu à l’école du chat de Château-Chinon. Je mesure le prix de sa confiance et la chance que j’ai eue de parfois, sans doute trop rarement, la mériter.
Au risque d’en étonner quelques-uns, je rajouterai bien à cette liste un nom de plus : celui de Nicolas Bazire qui m’a proposé de le rejoindre en mars 2001 là où il prospérait et se retrouve de ce fait obligé à intervalles réguliers de m’aider à y demeurer. Il est dommage que le mot gentillesse soit galvaudé. Il s’applique à lui. J’utiliserai à son endroit un autre mot oublié. J’ai pour lui de la gratitude.
J’ai évoqué quelques pygmalions. Il y a des amis, ceux de toujours et c’est Franck Bondoux, Cyril Buffet ou Laurent Chalumeau, ceux que j’ai rencontré, comme le docteur Boissin, le défenseur Maisonneuve, le professeur Bergamelli, le bâtisseur Journo. J’aurais pu parler de ceux, collaborateurs, étudiants, candidats sur lesquels j’ai exercé tutelle, ascendant, ou hiérarchie, pour ne pas dire autorité. Ils s’en sont brillamment affranchis comme Guillaume Bachelay, sans doute le premier d’entre eux et, désormais, du PS le numéro deux, Stéphane Israël qui eût la tête dans les étoiles et qui veille sur les fusées Ariane, Julie Burguburu, au cabinet du Président de l’assemblée naguère et aujourd’hui, Edouard Philippe, Maire du Havre que je soumis à la question et dont la venue ce soir traduit le pardon, Timour Veyri et Jean-Baptiste Verrier, d’autres qui sont ici ce soir parmi des centaines d’autres. Il est aussi des femmes et hommes de confiance sans lesquels je n’aurai pu avancer Florence Ribard à Lassay, Fabrice Barbe indispensable dans l’Eure avec Thomas Toutain, Malika et Babeth, Béatrice qui travaille avec moi depuis 15 ans Avenue Montaigne, Christian et Alain avec qui j’ai fait sans jamais quitter l’A13 plusieurs fois le tour de la planète jusqu’à la sortie 19.
L’équité m’amène à y ajouter père et patron. De Bernard Arnault, que dire qui ne soit déjà dans toutes les gazettes si ce n’est justement qu’il est parfaitement différent de ce qui y est écrit. Le Président de LVMH décide, arbitre, inquiète et comment pourrait-il en être autrement, mais il sourit, comprend, partage, tolère, accepte, plaisante et cet entrepreneur remercie ce qui est assez rare pour être répété. En vous priant d’accepter ses excuses Monsieur le Ministre, il nous a préféré ce soir Maurizio Pollini. Je lui indiquerai demain que, par dépit et par vengeance, vous avez décidé la fermeture administrative de tous les Vuitton et l’inscription de Shalimar au tableau des drogues dures. On ne l’y reprendra pas. Puisqu’il est absent, je dirai toutefois qu’il est exceptionnel…
De mon père, mes sœurs, Laurence et Constance qui sont taquines, me poussaient à dire que je gagnais des élections presque aussi souvent qu’il en perdait. Nous nous sommes filialement ravisés. Notre père a un enthousiasme, une culture, une volonté, une curiosité, une jeunesse, une intelligence avec lesquels nous ne parviendrons jamais à rivaliser. Il les a mis au service d’idées souvent neuves, parfois réactionnaires bien que moins extrêmes que celles de son frère, mon oncle Alain, fondateur du Front National. Il les a diffusées d’une écriture abondante, virtuose et unique. S’il nous a fait génétiquement partager l’exaspération qu’il suscite en tout lieu et a manifestement négligé les cours d’économie et de psychologie familiales, il est un modèle et un exemple dont je m’émerveille qu’il séduise encore avec mes enfants une nouvelle génération. C’est un lourd et un merveilleux cadeau que de l’avoir à la tête de notre famille.
Je m’aperçois que je ne vous ai pas dit ce à quoi je crois, ni expliqué la schizophrénie qui me fait passer de Karl Marx à Christian Dior, d’un conseil national à un défilé de mode, de l’essor du capitalisme, qui est mon emploi, à l’extinction du paupérisme, qui est mon dessein. Le moment est bien choisi puisque j’ai accumulé au 1er janvier dernier 16 ans de fonction publique et 16 ans d’activités privées. C’est le partage des eaux. D’un côté concession de service public, pôle de compétitivité, CNED, mairie et région. De l’autre rouge à lèvres, champagne et sacs à main.
Tout cela n’est pas compliqué. Je m’explique. Il me semble que chacun d’entre nous, s’il a eu la chance ou l’énergie de se qualifier, de se diplômer, devrait va vie durant former et éduquer les autres. C’est la raison pour laquelle j’ai toujours enseigné. Je crois également que toute personne qui réussit dans l’entreprise, devrait s’investir dans la vie publique et donner bénévolement à la collectivité un dixième, un quart ou un tiers de son temps, de sa force, de son imagination et c’est pour cela que je suis élu. Je suis persuadé, enfin, que travailler dans une société qui a su parvenir à générer 35 milliards de chiffre d’affaires, n’est pas simplement compatible, mais complémentaire de la défense d’une ville qui a besoin de 35 millions pour survivre.
J’ai fait des affaires et j’ai fait des lois. Officier de police judicaire, j’ai forcé des portes derrière lesquelles pourrissaient des cadavres et, secrétaire général du leader du luxe, installé des vitrines derrière lesquelles étincelaient des mannequins. Je fais du funambulisme entre travail et capital, marché et Etat, solidarité et entreprise. C’est mon équilibre. Il faut recevoir et restituer. J’ai essayé de prendre le meilleur des deux ce qui peut, socialement et politiquement, me rapprocher de l’hermaphrodite.
A ne pas choisir, on en paye parfois les pots cassés. J’ai rassemblé ce soir mes amis du conseil municipal que j’aime de tout mon cœur et avec lesquels nous communions dans l’amour de Val-de-Reuil, des collègues avec qui je partage la passion et la création qui fondent l’aventure LVMH, ses dizaines de milliers d’emploi créés, l’excédent commercial que cette entreprise produit, la croissance qu’elle génère et la notoriété qu’elle apporte à la France dans le monde, un démiurge comme Jean-Luc Ansel qui anime avec un immense succès le pôle de compétitivité Cosmetic Valley, et, plus important que tout, ma famille, pour qui j’ai de l’admiration, Laetitia-Marie, Toussaint, Annonciade, Piétra, quatre enfants que j’ai tenu dans mes bras et qui sont devenus lycéenne, étudiante, ingénieur, avocat, sans oublier plusieurs pièces plus récentes et rapportées qui, régulièrement convoquées au déjeuner dominical obligatoire, se reconnaitront dans le rôle ingrat du gendre.
Ce sont des univers inconciliables et quand bien même passerai-je une dizaine de vies à ses côtés, je n’arriverais jamais à persuader Catherine, ma femme, que la cohabitation avec 120.000 salariés et 15.000 administrés est la géométrie optimale d’un foyer. Je la remercie d’avoir encore l’envie de me ramener les pieds sur terre par une impatience qui est le contraire de l’indifférence, une incompréhension qui est l’inverse de la  résignation. Elle n’aime pas que je le dise, encore moins publiquement, même à ceux de notre clan, mais, quarante ans, après je saurai aller les yeux fermés là où je l’ai rencontrée.
Un tout dernier mot que je n’avais pas prévu d’ajouter. Il y a 24 heures nous avons dit adieu à mon cousin Eric Kristy. Dans les archives des RG, on doit probablement trouver sa fiche sous la catégorie gauchiste. Mais aux génériques des télévisions, il était le père d’une « femme d’honneur », du « proc » et de « Franck Keller ». Il avait également donné vie à Julie Lescaut, à Imogène, à Chien et Chat, aux Enquêtes d’Éloïse Rome, aux BÅ“uf-carottes, à Alice Nevers, au juge est une femme. Autant dire qu’à lui seul, il a déjà résolu les problèmes d’effectifs de votre Ministère. Cela méritait que ma conclusion devienne son éloge. Pensez un peu à lui.
J’ai été trop long. Je vous remercie, je vous embrasse et je vous salue.
29
JAN
2016
Monsieur le Président, chers collègues,
Cette disposition touche aux principes mêmes de l’exercice de notre mandat. Elle mérite qu’on s’y attarde autrement que par des calculs d’Apothicaire. Sa justification remonte aux origines de la vie politique née avec la démocratie à Athènes, elle est ressuscitée dans la constituante.
On peut donc imaginer que ce qui convenait à Robespierre et Périclès pourrait nous aller. Comme ils ne siègent pas dans cet hémicycle, nous allons éviter leur prosopopée et sans suspens ne pas nous opposer à votre proposition.
Au nom de mon groupe à qui vous souhaitez confier la présidence de la commission des finances et sans l’idée de faire de cette première séance pour la remplir un réquisitoire, je voudrais cependant signaler les cinq dangers que contient cette délibération que je joins à d’autres. Je vous en impute moins la responsabilité qu’à l’air du temps mais comme vous avez commencé ce matin par les 4 vérités de France 2, je continue.
Le premier, c’est celui de la démagogie parce qu’elle est infondée historiquement. Le second, c’est celui de l’insuffisance, parce qu’elle est peu lisible politiquement. Le troisième, c’est celui de la non-insignifiance parce qu’elle est invisible budgétairement. Le quatrième, c’est celui de la faible efficacité parce qu’elle est insensible économiquement. Le dernier et le plus grave, c’est celui de l’inexactitude parce qu’elle est fausse arithmétiquement.
Cette délibération court le risque d’être considérée comme populiste parce qu’il est de bon ton aujourd’hui de crier « haro sur le baudet » lorsque l’on parle des élus. Quand j’avais la chance de connaître des étudiants aussi brillants que Nicolas Rouly et Edouard Philippe, je tentais d’enseigner à Sciences Po que l’indépendance des élus en France n’avait pas d’existence constitutionnelle, mais qu’elle reposait sur un statut coutumier en forme de triptyque : immunité, incompatibilité, indemnité.
Immunité, parce que dans une campagne ou devant une assemblée, on peut, selon nos traditions, malmener son adversaire avec une certaine vigueur surtout s’il est majoritaire. Ce n’est pas très agréable, mais, en contrepartie, nous avons la certitude que le pouvoir, tout pouvoir national ou local, n’essayera pas de museler son opposition. Vous l’avez accepté, à une ou deux phrases un peu liberticides près de ce règlement.
Incompatibilité, parce que en régime de séparation verticale des pouvoirs, on ne peut être à la fois ministre et député, juge et sénateur, et qu’en régime de décentralisation ou de séparation horizontale, on ne peut être à la fois parlementaire et président de région, comme l’ont indiqué les nouveaux présidents d’Ile-de-France et du Nord-Pas-de-Calais, mais il semble qu’il y ait en la matière – au moins jusqu’en 2017 – une exception régalienne pour les anciens et les actuels ministres de la défense.
J’en viens au pilier essentiel. Indemnités pour éviter une république censitaire où seuls les plus riches pourraient se présenter, une république parcellaire où ne seraient élus que les retraités et les rentiers, une république inégalitaire où les représentants des électeurs verraient leur sort privilégié s’ils sont éleveurs de chevaux ou, y compris dans des entreprise de luxe, cadres dirigeants, le niveau de l’indemnité permet, financièrement, de recréer de l’équité et, sociologiquement, d’intégrer dans la vie politique davantage de jeunes, de femmes, d’ouvriers, d’employés, de Français issus de l’immigration. La décision que nous prenons nous engage, mais elle engagera également, pardon d’évoquer cette horrible perspective, nos successeurs, citoyens qu’il ne faudrait pas dissuader, dans le futur, d’être candidats à raison de la barrière de l’argent. J’ajoute, mais cela concerne l’extrême sud de la Loire, que les indemnités ont été aussi créées pour donner à la République des élus honnêtes, éloignés des tentations et insensibles aux pressions ce que résumait d’un aphorisme ce député de la IIIème République qui rappelait qu’un mandat « gratuit ce serait trop cher ».
Le danger de l’illisibilité, c’est que cette course à l’échalote, cette course à la baisse est une course sans fin. Ne nous trompons pas de combat. Nos priorités financières, c’est augmenter les moyens de la formation, des transports, de la culture. En revanche, la bonne indemnité, ce serait l’indemnité zéro. Quelle hypocrisie ! Dans le Vaucluse, savez-vous il y a une commune tenue par un parti qui ne cesse de vilipender le système et l’establishment, – il s’agit du Pontet – qui a la dimension de la mienne, la sociologie de la mienne, une prison de la même taille que la mienne, mais pas la couleur de la mienne. Le conseil municipal y a accordé au maire une indemnité de 3500 euros, quatre fois celle que je reçois, une carte bancaire, des frais et une superbe voiture de fonction. Qui a protesté contre cette décision qui ne permet guère d’avoir la tête haute et les mains propres ? Personne, parce que cette discussion est inaudible. Il faut donc l’organiser avec clarté et c’est ce matin votre responsabilité. M. Bay, je ne vous confierai pas mon portefeuille 30 secondes, alors la commission des finances…
Le troisième danger, c’est celui de l’insignifiance. Les budgets que nous voterons approcheront les 2 milliards d’euros. A qui feront nous sérieusement croire que nous apporterons le début d’une solution aux problèmes graves auxquels nous devons faire face en déplaçant moins d’un millième de nos ressources, un quart de lycée, quelques hectomètres de voie ferrée. Je sais bien qu’en supprimant le magazine de la région, nous économiserions 12 millions d’euros en six ans et, selon un mécanisme qui échappe aux quatre opérations mathématiques élémentaires, que cela susciterait 250 millions d’euros d’investissements, ce que je traduis, mais je n’ai pas d’information sur ce tour de magie, que nous pourrions emprunter une telle somme, puisque la situation financière dont vous héritez est exceptionnellement bonne et je m’en félicite, en en payant les intérêts sur cette diminution de l’information de nos concitoyens, mais en alourdissant notre dette du capital emprunté ce qui fait un peu cavalier, si ce n’est cavalerie.
Le quatrième danger, c’est celui de l’inefficacité économique. On nous dit que nous allons épargner de l’argent, mais chaque dépense doit être mise face à toutes les autres. En installant la région à Caen, ce que je ne veux pas contester aujourd’hui, le barycentre des indemnités kilométriques des élus va progresser puisque le plus grand nombre est originaire de Seine-Maritime et que, comme ceux de l’Eure, ils vont se déplacer plus souvent et plus loin, tandis que cela ne diminuera pas d’un centime les remboursements faits à ceux qui viennent du Calvados, de la Manche et de l’Orne.                  Vous-même, Monsieur le Président, au lieu de prendre modestement le Theor ou le métrobus pour aller à la préfecture distante d’un kilomètre pour un euro soixante ou d’y aller à pied ce qui est bon pour la santé, vous mobiliserez chauffeur, voiture, sandwich, carburant ce qui, sans parler des conséquences en termes d’émission des gaz à effets de serre, même pour faire un pied de nez à Laurent Fabius, aura un coût pour la collectivité.
Mais je conclue par l’essentiel. Vous aviez indiqué à plusieurs reprises et encore lors de notre séance inaugurale que vous alliez baisser les indemnités de vos collègues de 40% ce qui recueille une certaine popularité dans l’opinion normande. Le problème est que c’est faux. Vous confondez une non-dépense et une augmentation de recettes. Ces crédits n’existaient pas. Vous ne les créez pas. Je ne vois pas comptablement – c’est mon métier d’origine – où se trouve le début du commencement d’une économie.
On répliquera qu’il y a 15 vice-présidents contre 25 naguère pour les deux régions. Certes, mais leur traitement est largement compensé par un le recrutement d’un contractuel à la tête de la région entouré de sept DGA, contre deux autrefois, toute personne dont je respecte les compétences et n’ignore pas le sens du service public, mais que vous comptez d’après les éléments que vous avez fournis rémunérer, loger, défrayer et véhiculer. On trouvera bien quelques compensations à présenter, je n’en doute pas, mais c’est, dès le premier mois de vos fonctions, en termes de charge de fonctionnement et de structures, une véritable explosion.
Il reste une seule rémunération que je n’ai pas évoquée. Me pardonnerez-vous de le faire ? Je vous connais depuis longtemps. Au nom de la transparence, valeur que nous partageons tous ici, je l’espère. Il s’agit de la vôtre. Elle était réglementairement, dit-on, insusceptible d’augmentation et sa seule variation, pour concourir à ce plan d’économies un peu artificiel, un peu factice, était de la faire baisser. Vous y avez renoncé. Je ne veux certainement pas vous le reprocher, car vous êtes par le suffrage universel le Président de la Normandie que nous avons réunifiée et, comme beaucoup de ceux qui servent la Nation, vous auriez pu prétendre dans d’autres carrières à d’autres destins. Vous l’avez, à l’intérieur des frontières de la Grande Région, emporté dans l’Eure et je veux vous en féliciter. Votre légitimité est entière et votre tâche est immense. Il est juste que vous soyez pour cela attributaire d’une indemnité et même qu’elle échappe à la modulation pour absence. Je note simplement que ce n’est pas celle sur laquelle vous avez le plus insisté. Elle n’a pas baissé de 40 %. C’est humain. Néanmoins, un politicien touchant ses émoluments au début du siècle précédent avait déclaré que « son indignation n’avait d’égale que sa satisfaction ». Je ne voudrais pas que ce soit votre état d’esprit.
7
JAN
2016
Il y a vingt ans et un jour, le 8 janvier 1996, François Mitterrand nous quittait. Le chat de Château-Chinon, artisan et maître de son destin, avait, d’une certaine façon, choisi de mettre fin à son agonie. Loin du Mont Beuvray où il avait rêvé construire son tombeau, l’éternité qu’il attendait, enfin, s’ouvrait à lui. Au petit matin, Pierre Joxe, pour qui il ne pouvait y avoir de secret, en l’annonçant à Laurent Fabius, me l’apprit aussi. Jarnac, Chardonne, l’entre-deux-guerres, la Charente, celui qui reposait dans la chambre sans apprêt de l’avenue Frédéric Le Play n’était en rien mon père. Comme des millions de Français, j’ai pleuré sa disparition, orphelin d’un symbole, orphelin d’un espoir. Il faut aujourd’hui rendre hommage à cet homme exceptionnel, l’hommage de la mémoire, de la reconnaissance et de la fidélité. Mais pas seulement… Par-delà le temps passé, au-dessus des clivages, celui qui fut, à partir du Congrès d’Epinay, pendant neuf ans le premier secrétaire du Parti Socialiste avant d’être pour deux mandats de sept ans le président de la République, le président de tous les Français, le chef de l’Etat, nous laisse un exemple, une leçon et un message.
L’exemple, c’est celui de la dignité. François Mitterrand ne s’en est pas départi un instant quatorze ans durant. Dignité, majesté diront ses critiques et ils ne manquaient pas, face aux obligations de sa charge et aux épreuves du pouvoir. Faut-il le regretter ? Certainement pas et pour une simple raison. On pouvait bien l’attaquer. On en avait rarement honte. En tenant son rang, dans le monde et à l’Elysée, il tenait le nôtre. Pour avoir une certaine idée de la France, il avait choisi d’avoir une certaine idée de lui-même. Ce n’était pas sans grandeur, ni sans vérité. Dignité, courage pensait ses amis et ils restent nombreux, tout au long du « combat honorable » qu’il a mené contre la maladie en osant, lui qui aimait tant la vie, regarder la mort en face. Qui peut, avant l’heure, revendiquer d’avoir ce cran ? Trois fois, à l’Elysée, à Liévin, à Solferino, avec d’autres, je l’ai vu tomber, s’effondrer, inerte, livide, cadavérique et, trois fois, je l’ai vu, de mes yeux vu, se relever comme ressuscité par un miracle qui n’était pas « uniquement » celui de la médecine. Son souffle, son instinct, sa survie, tout chez lui était politique. Une tribune, un micro, un discours et Lazare revenait parmi nous. Le verbe le refaisait chair.
La leçon, c’est celle de la ténacité. Combien de fois, au cours d’un long parcours politique, François Mitterrand, brocardé, raillé, vilipendé, calomnié, n’a-t-il pas été donné pour coulé, pour perdu, pour fini sans jamais cesser d’être égal à lui-même dans l’épreuve et le succès, dans la victoire et dans la défaite ? Il fut bassement insulté, injurié, humilié. Pour autant, les reproches qui lui étaient adressés n’étaient pas tous infondés. L’abeille n’avait pas toujours été architecte. Dans sa jeunesse française, sous l’occupation allemande et, encore, par des amitiés inconsidérées, il commit probablement de terribles fautes. Certaines, hors de leur époque, ne sont pas explicables. C’est dire qu’elles pouvaient l’être sur le moment. Quelques unes, demain comme hier, sont inacceptables. Elles resteront condamnables. Il était complexe. Ce n’est pas une excuse. Il était ambigu. Ce n’est pas une qualité. Il revendiquait ce clair-obscur. Etait-ce un art ? Etait-ce un jeu ? Il poussait, devant lui, comme chacun d’entre nous, mais à son échelle, évidemment plus grande, plus massive, un « misérable petit tas de secrets ». Il s’en défendait. Mais il le savait. Il avait des faiblesses. Mais il avait du génie. Il tenait dans sa main ce qu’il appelait « le talisman de la chance ». Il sût faire face à tous ses adversaires, surmonter tous les obstacles, remporter tous les défis. La France Unie ! Après deux tentatives vaines, en étant élu le 10 mai 1981, il a vaincu le sortilège, brisé l’implacable fatalité qui depuis un quart de siècle fermait à la gauche les portes du pouvoir. Là encore, il commit des erreurs. La tâche était rude. Les temps étaient durs. Une élection ne rend pas infaillible. Faisons la part de la paille et du grain. Devant l’Histoire, décentralisation, abolition de la peine de mort, libération des ondes, démocratie dans l’entreprise, construction européenne, son œuvre demeurera.
Le message, c’est celui de l’espérance. D’où il est, où qu’il soit, François Mitterrand nous rappelle, après l’avoir démontré, qu’il ne faut jamais désespérer. Je continue de croire en les forces de son esprit. Il suscitait l’aigreur, la jalousie, l’envie. Trop intelligent. Trop cultivé. Trop subtil. Ses ennemis disaient « florentin ». Depuis longtemps il avait transformé le sarcasme en compliment. Refusant de voir la haine que lui portaient ceux qui, dans un raccourci méprisant, l’appelaient Mitt-rand, il s’aveuglait, il se rassurait. Il avait une nature qui n’était pas aisé à saisir et à apprécier. Voilà tout. « Après avoir été le plus impopulaire des Français, disait-il, pourquoi n’en serais-je pas le mieux aimé ? ». Les années écoulées vont lui rendre justice. Aujourd’hui, avec le temps qui passe, cent ans après sa naissance, au-delà des tempêtes, du tumulte, des passions, un sondage nous apprend que deux tiers de nos compatriotes gardent un bon souvenir des années Mitterrand. Quel homme politique, quel homme d’Etat, quel homme tout court ne se satisferait d’un tel résultat ? Le modeste hommage que nous lui devons entre en résonance avec ce tribut posthume que rend le peuple français à un homme qui aura finalement incarné dans la légende des siècles, après quelques autres et pendant un long moment de notre histoire, la France, cette Nation qu’un des prédécesseurs de François Mitterrand, sans doute le plus illustre, appelait « son cher et vieux pays ».